LA DOUCEUR ET LES FORCES DE TANTE JEANNE

DANIEL GAGNÉ, L’Indice Bohémien, Rouyn-Noranda

Les filles du Roy ne lui ressemblent pas; elle n’en a rien, ni la descendance, ni les habits, ni les manières. Elle prend le bateau avec ses yeux pétillants, sa peur de rien et des forces suffisantes pour construire une nation. Résistante aux tempêtes, courageuse comme une mère protégeant ses petits, les grands vents ont bien peu de prise sur sa vie. Des pleurs de temps en temps, pour libérer de l’adversité, des rires plus souvent pour amuser les enfants. Des orages de fierté pour tisser l’étoffe qui habille le pays, lui offre un drapeau, la protège du trop chaud, du trop froid, de l’ennui.

Cette femme sait fendre le bois, récolter le jardin; elle connait les fleurs, sait moudre le grain. Elle sait cuire la perdrix et le lièvre, comme elle sait faire du bon pain. Elle inspire les hommes du voisinage, rend les voisins jaloux du voisin; elle fera de sa route un grand chemin.

Sachant que les loups ont peur d’elle, alors qu’elle cueille les fruits, elle chante pour ne pas s’égarer des siens, leur apprendre du coup des chants anciens et l’envie d’écrire leurs propres chansons, leurs propres refrains. Chacun sait combien elle est battante, combien elle est forte ma tante. Tous ont compris que sans elle et ses soeurs, point d’histoire à suivre, point de suite au bonheur.

Elle a dans son sac à main des outils pour séduire : un rouge à lèvres pour accompagner ses beaux yeux bleus, une paire de pinces, un tournevis, une brosse pour ses cheveux doux, il ne faut pas prendre de risque quand on conduit un bazou. Avec son bagage d’expériences sur plus de 85 années et un sens de l’humour à tout casser, ce n’est pas la mort qui va la faire trembler; il y a longtemps qu’elle la voit rôder.

Avant de quitter ce monde, je vais vous livrer un secret, me dit-elle. « Notre force a marqué tellement d’hommes sur cette planète qu’ils ont cherché des moyens de nous impressionner : porter des chevaux, lancer des arbres, tirer des trains à bout de bras; rien à faire, il n’y a que nous pour donner la vie à un homme, l’aimer, le nourrir et l’instruire, jusqu’à ce qu’il comprenne bien que la douceur est encore la plus grande des forces, celle que nous portons pour eux, au fond de nos yeux. »