Réal Boisvert, La Gazette de la Mauricie, Mauricie
Selon Luc Massicotte, directeur général du centre Accalmie, un seul suicide est un suicide de trop. D’où, pour lui comme pour son équipe, la nécessité d’améliorer sans cesse les pratiques en matière de prévention du suicide et de soutien aux personnes endeuillées par la disparition brutale d’un être cher. Soit, mais plus encore : dans un monde idéal, sur quoi faudrait-il agir pour réduire encore davantage — sinon à zéro — le contingent régional de nos morts volontaires ?
« L’idéal se cache parfois dans les nuances, précise-t-il. En effet, ce n’est pas parce qu’un service est accessible qu’il est utilisé à son plein potentiel. En prévention du suicide, comme c’est souvent le cas ailleurs, les deux ne vont pas toujours de pair. » Luc Massicotte poursuit en expliquant qu’en situation de détresse psychologique, principalement, plusieurs personnes ont tendance à se replier sur elles-mêmes. Et certains préjugés n’arrangent rien. Comme le suicide est encore tabou, une personne aux prises avec un mal de vivre hésitera souvent avant de demander de l’aide. Voilà pourquoi il est si important qu’une ressource comme Accalmie soit présente dans la communauté, dans les milieux de travail, dans le domaine du sport, dans les écoles et les médias.
Le directeur général aime bien comparer le centre Accalmie à une main tendue. Un geste qui exprime tout à la fois l’empathie, le tact, la bienveillance ainsi que le dévouement aveugle à l’autre, et cela dans le respect total de la confidentialité. Une façon de voir les choses qui, en dehors du cercle immédiat d’Accalmie, est partagée par les nombreux acteurs du milieu, notamment aux urgences psychiatriques, où tout le monde comprend bien qu’il faut atteindre un meilleur équilibre entre la logique productiviste et une approche centrée sur l’accueil et l’ouverture.
Au-delà de l’image médiatique, le rayonnement social de cette ressource en prévention du suicide est basé sur un solide arrimage de tous les acteurs concernés par le problème, depuis les partenaires du milieu communautaire jusqu’à ceux de la sécurité publique en passant par les intervenants de la santé et de la protection de la jeunesse. En contact quotidien avec la détresse psychologique, chacun fait son possible. Mais cela n’est pas suffisant et personne n’ignore qu’il y a des lacunes du côté du continuum des services. D’autant que la circulation d’un individu d’un service à l’autre repose beaucoup sur sa responsabilité personnelle. Or, plusieurs personnes suicidaires n’ont tout simplement pas la force de cheminer seules avec leur dossier sous le bras. Et quand la fluidité n’est pas garantie, la chaîne de continuité risque de se briser. C’est ainsi que, parfois, on « échappe » quelqu’un.
Chaque fois que l’on injecte de l’argent neuf en santé mentale, la préoccupation du transit interorganisationnel refait donc surface. Certes, il faudrait multiplier les intervenants pivots, mais il y a plus. D’après Luc Massicotte, la solution ne consiste pas à prendre en charge tous les cas d’espèce. Il faut aussi que, dans la mesure du possible, à chaque prestation de services, on renforce la capacité d’agir des individus. Idéalement, lors d’une intervention, il faut réussir à tendre un peu plus le ressort intérieur, à retrouver l’élan du cœur, à reconstruire l’estime individuelle, si écorchée soit-elle. De sorte que chacun, à chaque étape de son parcours, reparte plus fort à la sortie qu’à l’arrivée.
« Rêvons encore un peu », poursuit Luc Massicotte. « La prévention du suicide a fait des pas de géants au Québec depuis une vingtaine d’années. Le programme national de santé publique propose plusieurs mesures progressistes, de même que le plan d’action en santé mentale et la politique québécoise de la prévention. Néanmoins, en dépit de la bonne volonté générale, plusieurs initiatives sont à géométrie variable. Des résultats beaucoup plus probants ne pourront émaner que d’une stratégie d’ensemble coordonnée et ambitieuse. D’où la pertinence de mettre en place une politique nationale de prévention du suicide. On est rendu là. »
À la réflexion, jamais un tel idéal n’aura été autant à portée de main, m’aura convaincu Luc Massicotte !