Mobiliser la langue, entretien avec David Goudreault

Luc Drapeau, La Gazette de la Mauricie, Mauricie

Le 23 octobre dernier, lors d’un 5 à 7 à la librairie Poirier, l’auteur trifluvien David Goudreault se voyait remettre le prix de poésie Lèvres Urbaines 2017, qui souligne son engagement à l’égard de la poésie et de son rayonnement. Ce soir-là, le poète a tenu à remercier la Société Saint-Jean-Baptiste pour la passion commune de la langue française, les Écrits des Forges pour leur soutien de tous les instants ainsi que Claude Beausoleil, directeur de la revue Lèvres Urbaines, qui lui a donné sa première chance en poésie.

J’avais eu pour ma part le plaisir d’entendre David quelques années plus tôt dans une prestation au cégep de Saint-Hyacinthe, où je travaillais dans le cadre de la Semaine de prévention du suicide. S’il se présentait alors comme slameur, on ne sait plus trop comment le présenter maintenant (travailleur social, poète, écrivain, alouette !…) tellement il excelle dans la construction de chacun des pavés qu’il ne craint pas de lancer dans nos mares communes à titre de chroniqueur, objecteur de conscience, père de famille et citoyen.

Il n’en demeure pas moins que, pour lui, tous ces titres s’interpénètrent et réunissent l’homme qu’il a été, qu’il est, et qu’il devient : « J’ai l’impression que tout communique ensemble. Des gens vont s’intéresser à ce que je fais en poésie parce qu’ils m’ont découvert dans mes romans ; d’autres m’ont vu sur scène et vont s’intéresser à ma production littéraire. J’ai l’impression encore une fois que tout se nourrit, mais que je suis d’abord un écrivain. »

Artiste et travailleur social indépendant

David Goudreault affirme que, tant comme artiste que comme travailleur social — qu’il a été et qu’il demeure à sa manière —, la question primordiale consiste à savoir si l’on devient un agent de changement social ou un agent de contrôle social : « On a la capacité de faire des changements dans notre façon de vivre ensemble dans le tissu social, mais on peut aussi tomber dans des choses qui servent une stabilité malsaine ou des grands pouvoirs. » Par conséquent, on ne s’étonnera pas de l’engagement de David envers ledit tissu social, car il continue de visiter des écoles et des centres de détention, de donner des ateliers où il tente de convaincre ces différents groupes du pouvoir des mots et des actions qu’ils sont appelés à mener.

« Maîtres chez nous et maîtres de nos mots »

Le poète est convaincu que nous avons deux richesses nationales au Québec : l’hydroélectricité et la poésie. Si le slogan de Jean Lesage, Maîtres chez nous, résonne encore dans notre conscience collective parce qu’il est encore cité dans nos écoles, David Goudreault déplore que nos poètes n’aient pas la place qui leur est due dans le réseau scolaire : « La poésie au Québec est très effervescente, mais j’ai l’impression qu’on ne s’en rend pas compte. Elle n’est présente ni dans les médias ni dans les écoles. C’est problématique parce qu’on devrait pouvoir se l’approprier comme une de nos richesses. »

Slam/Poésie

Le slam, ce courant de poésie orale et urbaine né à la fin des années 1980 à l’initiative du poète Marc Smith, qui organisait des Uptown Poetry Slam dans un bar de Chicago, n’a cessé de se réinventer et de s’adapter aux besoins des milieux où il se déploie. Si le slam a su gagner des adeptes au cours des années, l’émergence de cette forme plutôt libre a aussi froissé des susceptibilités : « Je crois que c’est très humain d’avoir besoin de mettre les gens dans des cases et de préférer qu’ils y restent. Je comprends que ça en ait dérangé au début, mais ça fait plus de dix ans. Les préjugés sont de moins en moins ressentis entre la poésie et le slam. Moi, je saluais l’ouverture de Claude Beausoleil à reconnaître qu’il y avait de la qualité dans ma poésie, même si je m’étais d’abord démarqué dans le slam avec la Coupe du monde que j’ai remportée en 2011. »

Poétique/Politique

Une chose en amenant une autre, comme de discuter de son animation de la scène slam pendant trois ans à Trois-Rivières — dont il aimerait que le flambeau soit repris, nous en venons  à parler de la victoire de Dany Carpentier (le slameur Naïd) au poste de conseiller municipal lors des dernières élections dans le district de La Vérendrye : « Ça ne me surprend pas. Ça fait plus de vingt ans qu’on se connaît. C’est un gars de conviction. Je suis très fier. C’est l’exemple même du poétique qui a nourri le politique. »

« Et toi, pourrais-tu avoir de l’intérêt pour la politique ? » lui ai-je demandé. « Un jour lointain », m’a-t-il répondu. Quand on lit des vers comme ceux qu’on trouve dans son dernier ouvrage, Testament de naissance, paru aux Écrits des Forges, on présume de l’orientation de ses allégeances : « J’aurais désiré te voir naître en pays déjà né / mais notre histoire est plate comme la terre / Et ton passeport est canadien. »

David Goudreault s’y révèle assurément progressiste et souverainiste. « Assumé jusqu’à la moelle. N’hésite pas à l’écrire, me souffle-il, ça me garde mobilisé. »

« C’est documenté »

Cette réplique d’un personnage de la trilogie romanesque de David Goudreault (La bête à sa mère, La bête et sa cage, Abattre la bête), sans être devenue nécessairement virale, revient toutefois assez souvent dans les discussions à propos de ses romans. Étant donné que ce genre d’accroche peut suffire à garantir la pérennité des œuvres auprès des fans — au même titre que le « d’oh » d’Homer Simpson ou le « steak, blé d’Inde, patates » de Thérèse dans La Petite Vie —, j’ai demandé à l’auteur si on pouvait faire un parallèle avec les fake news et cette tendance lourde à nous retrancher derrière une réalité alternative plus satisfaisante pour conforter nos idées. Réponse de David : « Absolument. Mon personnage est très contemporain dans sa façon de vivre les distorsions cognitives, de vivre dans un certain mensonge, effectivement. D’être un peu à côté de la réalité et de se nourrir de ses propres menteries. »

« Cette tendance paraît inquiétante », dis-je à David en conclusion, en lui mentionnant au passage une citation tirée d’un entretien avec Maurizio Ferraris, paru dans le Philosophie Magazine du mois dernier, où le philosophe avoue craindre que nous ayons bientôt, à cause des réseaux sociaux, une imbécillité de masse « bien documentée ».

Si on peut reprocher au personnage de la trilogie romanesque de se nourrir de ses propres mensonges, on ne peut blâmer l’auteur de ne pas s’adresser à notre intelligence et à notre discernement. Ne serait-ce que pour son audace à confronter notre ignorance, à mettre en question le tissu social qui se déchire, à dynamiser cette langue qui perd de son courroux dans une syntaxe trop policée et aseptisée, je m’en remets à ces mots de Sandra Dessureault de la Société Saint-Jean-Baptiste quand elle soulignait l’engagement de David Goudreault lors de la remise du prix Lèvres Urbaines : « Ça vaut de l’or. Ce sont des gens comme toi qui font la richesse de notre pays ».

Reste mobilisé, David…

« On va toujours trop loin pour ceux qui vont nulle part. » – Pierre Falardeau.