Valérie Delage, La Gazette de Mauricie, Mauricie
Passé sous le radar cette année, le projet du centre de femmes interculturel Les Trois sœurs à Trois-Rivières est un bon exemple de ce que peuvent accomplir des femmes de tous âges, toutes conditions et toutes origines qui s’unissent pour se doter de services à leur image.
L’idée des Trois sœurs a germé à la Table de concertation du mouvement des femmes de la Mauricie (TCMFM) en 2015. Une dizaine de participantes, réunies en comité sur le thème du rapprochement des cultures, ont rapidement constaté que les services offerts en Mauricie n’étaient pas vraiment adaptés à la réalité des femmes autochtones et immigrantes, particulièrement en ce qui a trait à la violence et au racisme. D’où la nécessité de créer cet organisme. Et son nom, d’où vient-il ?
Dans la culture autochtone, le principe des « trois sœurs » consiste à cultiver ensemble trois plantes — la courge, le maïs et le haricot — qui s’entraident pour pousser. Elvire Toffa Juteau, présidente et fondatrice du Regroupement des Amazones d’Afrique et du Monde (RAAM), explique que « pour certaines questions les Africaines deviennent un pont entre les Québécoises et les Autochtones, alors que pour d’autres aspects les Québécoises font le lien entre elles et nous. Nos rôles culturels sont complémentaires ».
Joanne Blais, directrice de la TCMFM, explique que l’organisme Les Trois sœurs « adoptera une approche interculturelle et intersectionnelle », c’est-à-dire qui tiendra compte des différentes formes de domination ou de discrimination vécues par les femmes. En effet, actuellement, les intervenantes des centres d’hébergement pour femmes en Mauricie n’ont pas les outils et les ressources pour répondre aux besoins particuliers des immigrantes et des Autochtones. « Mais ce n’est pas la faute des intervenantes, c’est que culturellement il y a un abîme. L’accueil est différent », souligne Elvire Toffa Juteau. « C’est la même chose pour les femmes des Premières Nations », ajoute Valérie Jubainville, coordonnatrice du Point de service pour les Autochtones à Trois-Rivières.
Or, les intervenantes qui travailleront au centre de femmes Les Trois sœurs auront nécessairement reçu des formations sur cette approche intersectonnielle, qui englobera le racisme, le colonialisme, le sexisme, etc. « Du fait qu’il y aura une ouverture pour les méthodes de guérison traditionnelles et les cercles de partage, et qu’une ressource autochtone sera sur place, je suis convaincue que [les femmes autochtones] vont y aller », affirme Valérie Jubainville. Le centre Les Trois sœurs pourrait également constituer un lieu de référence auprès de tous les organismes qui travaillent à soutenir les femmes issues de la diversité culturelle car ceux-ci ne savent pas toujours vers qui se tourner pour bien les accompagner dans des démarches souvent complexes et longues.
Ce centre serait également un lieu d’information et de formation qui servirait d’incubateur de vie sociale. Selon Elvire Toffa Juteau, « les femmes immigrantes ne veulent pas recevoir l’aumône, elles voudraient que ce qu’elles savent faire les nourrisse. C’est ce que le RAAM essaie déjà de mettre en valeur : l’autonomie et les compétences. On aimerait que Les Trois sœurs aille vraiment dans ce sens-là, car la source première de la violence, c’est la dépendance économique ». « On veut travailler sur la quête de sens de la personne », renchérit Valérie Jubainville.
Elle ajoute que « le partage des façons de faire entre différentes cultures favorise le vivre‑ensemble que l’on souhaite ». « Peut-être que nos actions aideront à changer un jour le visage de Trois-Rivières », lance Joanne Blais. Et, comme le conclut si joliment Elvire Toffa Juteau, « on rêve du jour où Trois-Rivières deviendra Les Trois sœurs ! ».