Michel-Pierre Sarrazin, Ski-Se-Dit, Val-David
Depuis 45 ans, il a mis tout ce qu’il avait au service des gens de chez nous, de jour comme de nuit. Fallait le faire, se lever à n’importe quelle heure parce que le système d’alarme annonçait une panne de frigo ou la visite nocturne d’un voleur de grand chemin. Fallait le faire, résister aux pressions des grands décideurs du groupe, qui placent tout naturellement le profit au-dessus des intérêts du monde, ce que lui, dans sa conception du travail d’épicier, se refusait à faire. Les clients d’abord, coûte que coûte. Jacques Dufresne, dernier épicier d’une famille qui a participé au développement de Val-David depuis ses origines, vient de prendre sa retraite de notre beau magasin Metro, au coeur de notre village. Au coeur du village et des gens, disait son slogan favori. Le Metro de Val-David entre dans une nouvelle ère, franchisé désormais par Michel Vincent, associé de Jacques depuis des années et tout aussi passionné pour son magasin.
Le Metro est depuis toujours un bâtiment phare, pivot du développement commercial du village. Orné sur toutes ses surfaces d’une murale signée René Derouin, un geste sanctionné par Jacques Dufresne pour le patrimoine artistique de Val- David, il est l’équivalent dans une perspective à long terme de ce que Gaudi a fait pour Barcelone ou Eiffel pour Paris. Un geste pour les gens, un geste englobant. Quelque chose de plus que l’utilitaire, annonçant ici ce que les villes et les urbanistes prévoient partout aujourd’hui comme une nécessité : embellir l’espace.
Mais ce n’était pas un geste isolé. Lorsque le marché d’été de Val-David, désormais célébré partout au Québec comme un modèle du genre, a dressé ses premières gloriettes, c’est dans la cour du Metro qu’il l’a fait. M. Dufresne a été le premier à l’accueillir, parce qu’il avait compris qu’un marché public est un intégrateur social, un carrefour socioculturel, un moteur économique, et que son succès rejaillit sur les autres commerces.
D’ailleurs, cela mis à part, bien peu de commerçants à Val-David ont eu, au cours des décennies, à se plaindre des initiatives de la famille Dufresne. Depuis que Léonidas Dufresne, grand-père de Jacques et premier maire de Val-David, a ouvert au bord de la rivière du Nord, en 1909, le premier de ses trois magasins, les Dufresne ont été mobilisateurs de tous les grands projets : en 1921, l’arrêt ferroviaire du CPR baptisé Belisle’s Mill Station devient, sous la gouverne du maire Léonidas, Saint-Jean-Baptiste-de-Belisle; en 1922, sur un terrain offert par la famille, les Soeurs de Sainte-Anne s’installent et ouvrent une école au village; en 1923, c’est l’arrivée du premier bureau de poste, ce qui donne alors au village une présence sur la carte nationale. Puis, après avoir créé l’auberge La Sapinière, en pleine crise de 1936, pour donner de l’ouvrage aux gens d’ici, Léo, comme disaient familièrement les enfants, met ses fils à l’ouvrage et leur commande de poursuivre ardemment le développement. Le reste est passé à l’histoire : Jean-Louis, l’aîné, fera de La Sapinière un joyau hôtelier de réputation mondiale; Fernand, le père de Jacques, et Alfred, son oncle, accroîtront le patrimoine villageois avec L. Dufresne et Fils (1949) en ouvrant un magasin général (quincaillerie, matériaux de construction, et une épicerie, qui se joindra en 1963 à la chaîne de détaillants Metro). Quelques années plus tard, lorsque Jacques en prendra les commandes, le petit Metro de Val-David deviendra grand et raflera pratiquement chaque année les premiers prix d’excellence (Épicier indépendant de l’année, Magasin d’or de la chaîne Metro-Richelieu et avec l’arrivée de Michel Vincent, en 2003, le premier prix de la Fédération canadienne des épiciers indépendants). Que de beaux souvenirs.
Bien sûr, aujourd’hui, Jacques se souvient comme nous de tous ces gestes qu’il a faits pour son village (soutenir depuis le début la Fondation Dufresne pour les enfants, aide à toutes les causes, participation à tous les défis sportifs et culturels, soutien important au développement du Parc régional…) non sans une certaine nostalgie. Quarante-cinq ans d’engagement quotidien, c’est quelque chose. Quelque chose qui laisse, au milieu d’une famille qui est présente au village de diverses façons, depuis toujours, un certain vide soudain, devant l’immensité du mot retraite. Mais aussi bien, l’homme que je connais n’a pas dit son dernier mot, j’en suis convaincu. C’est le même qui a négocié deux ans durant avec le franchiseur Metro un bail de location de 10 ans pour son immeuble, au milieu du village, pour protéger le service à sa clientèle et assurer à ses employés les plus âgés la possibilité d’atteindre leur retraite à leur tour, en gardant leur emploi jusque-là. Les gens, toujours, en priorité. C’est avec ça qu’on fait des villages, de ceux qui attirent les gens qui aiment les gens.
Jacques Dufresne n’a jamais cessé de travailler au bien-être de ses concitoyens, de mille et une façons, et beaucoup de gens d’ici peuvent en témoigner. Il y a gros à parier que sa retraite n’est qu’un recul pour mieux sauter… dans de nouveaux projets d’avenir. Laissons-lui le temps de mijoter sa prochaine carrière.