Elizabeth Forget-Lefrançois, Journal Des Voisins, Montréal
« Je ne savais pas ce qui m’attendait, confie l‘Ahuntsicoise en attardant son regard sur la porte d’entrée de la grande bâtisse du boulevard Gouin où elle a été photographiée alors qu’elle n’était encore qu’une jeune postulante. Au fond, il vaut mieux l’ignorer et vivre pleinement le moment présent. »
L’histoire de Soeur Angèle tire sa genèse dans le village de Cavaso del Tomba, en Vénétie. Cette année, afin de souligner son 60e anniversaire de vie religieuse, elle y a séjourné, accompagnée de 105 touristes désireux de découvrir l’Italie, le temps de renouveler ses voeux.
En pénétrant dans le lieu de sa première communion, le son des cloches de l’église a fait resurgir le passé. « Durant la guerre et le fascisme, nous ne les entendions plus, raconte-t-elle plongée dans ses souvenirs. Quand la paix est arrivée, elles se sont mises à résonner et là, des années plus tard, c’est comme si je vivais une paix. » Ginetta Rizzardo a connu une jeunesse difficile ponctuée de bombardements et de visions d’horreur. Ces épreuves ne lui ont pas pour autant ravi son optimisme Elizabeth FORGET-LEFRANÇOIS et le goût du bonheur. « Soit tu meurs, soit tu deviens fou ou tu en sors plus fort. On avait la foi et moi je m’en suis servi », affirme Soeur Angèle.
Malgré sa force de caractère, elle admet avoir lutté pour ne pas se laisser aller aux émotions en retrouvant les terres de son enfance aujourd’hui transformées. « Le coeur m’a manqué, confesse-t-elle. N’attendez pas 62 ans avant de retourner où vous êtes né. »
Un nouveau chapitre
En 1955, la jeune Rizzardo, âgée de 17 ans, prend le large en direction de sa terre
d’accueil pour aider sa soeur à prendre soin de sa marmaille. Un an plus tard, une fois sa famille parrainée, elle fait un choix déterminant, soit celui de consacrer sa vie à Dieu. À ses yeux, la grandeur de l’être humain est de donner au suivant. Sa mère lui a transmis la valeur du partage et elle en fera le pilier de son existence. « Elle avait le sens de l’accueil, quelque chose d’extraordinaire, se souvient la religieuse. Les invités passaient avant nous et il y avait toujours un couvert à table pour que les visiteurs inattendus se sentent bien reçus ». Son plus récent ouvrage, « Merci Mama », se veut d’ailleurs un hommage à cette femme forte, à son héritage culinaire et à sa région natale. Soeur Angèle décrit l’alimentation comme l’art de garder la vie. Elle a d’ailleurs préféré à la chimiothérapie des aliments sains afin de lutter contre un cancer colorectal il y a quelques années.
Ses talents culinaires lui ont valu d’être attitrée aux fourneaux durant près de 20 ans à la maison des soeurs dite Dorchester. À titre de responsable de cuisine, elle faisait des miracles avec de petits budgets, jour après jour, pour servir des centaines de repas sans même bénéficier de journées de repos. Même si certains moments furent difficiles, la religieuse refuse de s’apitoyer. Son arme secrète est le don de la répartie
et une dose de sagesse. « Moins tu grattes, moins tu as mal. Il ne faut jamais se laisser contrarier ou entrer dans le jeu de la société, mais plutôt développer le sens de l’humour », déclare-t-elle.
Une histoire d’amour
Grâce à l’Institut de Tourisme et de l’hôtellerie du Québec (ITHQ), où elle a étudié et enseigné, le quotidien de Soeur Angèle a pris une tournure inattendue après un remplacement de dernière minute à l’émission « Allo Boubou » en 1984. Le coup de foudre des Québécois, pour cette soeur charismatique alliant la cuisine et l’opéra a été immédiat. À partir de ce jour, elle a ajouté à ses nombreux titres celui de femme de médias. Constamment sollicitée, Soeur Angèle a rencontré sept papes, fait plusieurs fois le tour du monde, présenté de nombreuses émissions télévisées et publié plusieurs livres de recettes, sans pour autant épuiser sa créativité sans cesse renouvelée.
À 79 ans, elle ne ralentit pas le rythme. Même si elle a peu de temps pour flâner dans le quartier où elle réside depuis maintenant huit ans, elle apprécie son aspect campagnard et sa diversité. « Il y a beaucoup de nationalités ici et de toutes les couleurs. Ça fait de la mosaïque », s’enthousiasme l’Ahuntsicoise. La récipiendaire de la Médaille du Gouverneur général du Canada alterne ces derniers temps entre la soeur volante et la soeur roulante. Après un saut à Cuba, son horaire lui réserve une escale à Chambly et l’année 2018 est déjà bien remplie. « Je me suis dit : “tant que tu es occupée, tu vas garder tes 20 ans. Si ce n’est pas d’apparence, c’est de coeur!” »