POURQUOI LES CÉGEPS?

Yvon Lafond, L’Indice Bohémien, Octobre 2017
Pour le savoir, il faut remonter au début des années 1960. À cette époque, notre
système d’éducation est la cible de nombreuses critiques. L’une d’elles touche l’éparpillement des responsabilités éducatives et le manque de coordination qui en découle. Le Département de l’instruction publique, le ministère de l’Agriculture, celui des Terres et Forêts, le ministère de la Jeunesse, plusieurs congrégations religieuses, de multiples écoles privées, un grand nombre de commissions scolaires : voilà autant d’acteurs qui développent différents créneaux, sans égard à la cohérence de l’ensemble.
À titre d’exemple patent, le Département de l’instruction publique supervise la
formation primaire et celle du secondaire, mais la fin du secondaire n’offre
pratiquement aucun passage vers les études universitaires ni vers l’exercice d’une
tâche spécialisée.
L’accès à l’université se fait généralement par l’étroit et long chemin des collèges classiques, dirigés par le clergé séculier et par diverses communautés religieuses. Dès la fin des années 1950, plusieurs jugent que la formation classique est trop longue, trop élitiste et trop orientée vers les seules professions traditionnelles : médecine, droit, notariat, prêtrise.
Ceux qui n’ont pas la possibilité ni le gout de suivre ce chemin et qui veulent éviter le cul-de-sac du secondaire général se tourneront vers l’apprentissage d’un métier dans les écoles d’arts etmétiers gérées par le ministère de laJeunesse et une panoplie d’écoles privées. Ces formations sont généralement de courte durée – de six mois à trois ans après le primaire – alors que le marché du travail recherche des ressources humaines de plus en plus spécialisées.
En outre, peu de choix sont offerts aux filles, sauf le secrétariat, l’enseignement, la profession d’infirmière ou la préparation à la vie de femme au foyer. Fraichement élu, le gouvernement dirigé par Jean Lesage (1960-1966) confie à la Commission Parent le mandat de lui proposer des solutions. La Commission commence ses travaux en 1961 et ses recommandations arrivent trois ans plus tard.
Elles ne manquent pas d’audace pour l’époque et seront largement suivies, malgré
l’opposition initiale du clergé et de plusieurs groupes de pression. En 1964, le gouvernement crée le ministère de l’Éducation. Cette décision met fin à l’éparpillement des responsabilités et confirme la volonté de changement du gouvernement en place. Paul Gérin-Lajoie sera le premier titulaire de ce nouveau
ministère. En deux ans, il amorce une série de réformes dont les effets sont encore
présents aujourd’hui.
Après avoir regroupé un grand nombre de commissions scolaires, il commence à
réformer en profondeur l’enseignement secondaire. Il donne aussi le feu vert à la
création des cégeps. Ils auront la double mission de démocratiser la formation qui
conduit aux études universitaires et de former des techniciens hautement qualifiés
dans chacune des régions du Québec.
Ces orientations survivront au changement de gouvernement. Élue en 1966, l’équipe
de Daniel Johnson approuve l’idée de créer ce nouveau type d’institution désigné sous le vocable de collège d’enseignement général et professionnel. Le nouveau ministre Jean-Jacques Bertrand annonce que douze de ces collèges verront le jour à
l’automne 1967. Celui de Rouyn-Noranda fait partie de ce groupe de pionniers.
L’acronyme cégep est lancé, sa réalité aussi. Ils font désormais partie du vocabulaire
québécois et de notre environnement éducatif de génération en génération,
depuis 50 ans!