MAIRE-MICHÈLE GENEST, La Quête, Septembre 2017
En pleines célébrations du 150e de la Confédération canadienne, des voix provenant des Premières Nations de partout au pays se font entendre. Se sentant lésés, oubliés, les Autochtones souhaitent nous rappeler leur rôle primordial dans l’histoire du pays. Et des rôles, si on leur en donnait aussi à la télévision?
Malgré un nom de famille anglophone, Charles Bender parle comme un Québécois pure laine. Les traits de son visage pourraient être ceux d’un Italien, d’un Libanais ou d’un Argentin.
En réalité, l’acteur porte en lui un héritage huron-wendat qu’il chérit et intègre fièrement à son métier. Celui qui tient aussi le rôle de président du comité pour la diversité culturelle pour le Congrès québécois du théâtre fait partie de la poignée d’acteurs et d’actrices issus des Premières Nations qui figurent dans le bottin de l’Union des artistes. Et même si on lui offre des rôles moins nichés que ses homologues en raison de son apparence physique, il est bien placé pour reconnaître que la scène québécoise manque encore cruellement de diversité. « Il y a encore beaucoup de travail à faire », affirme-t-il. Un constat partagé par son ami et acteur innu, Marco Collin, avec qui il partage la scène au sein de la compagnie de théâtre Menuentakuan : « Il y a une quasi-absence des Amérindiens à la télé. C’est quand même assez blanc! », dit-il en rigolant.
Déjà que le métier d’acteur ne garantit pas de mettre du beurre sur son pain, obtenir un rôle lorsqu’on est un Autochtone représente un défi supplémentaire. « Le plus important obstacle c’est que tu ne seras pas considéré pour des rôles pour lesquels il n’est pas écrit spécifiquement qu’il faut que ce soit un Autochtone », déplore Charles Bender. L’acteur donne l’exemple de deuxièmes rôles qui sont attribués presque automatiquement à des Blancs. « Il n’y a rien qui précise que » Maître Jolin » ne peut
pas être Autochtone, Noir ou Asiatique! », s’exclame-t-il.
Mais la télévision étant un média d’images, l’apparence tend à prendre autant de place que la qualité du jeu d’acteur. Parlez-en à Marco Collin, qui se fait surtout proposer des rôles d’Autochtones. « Je ne peux pas renier mon casting! », s’esclaffe-t-il, lucide. Toutefois, ce dernier nuance qu’il préfère jouer un « policier indien plutôt qu’un Indien policier ».
Pour sa part, Charles Bender avoue qu’il a déjà refusé d’interpréter des rôles qu’il considérait comme irrespectueux envers sa nation. C’est pourquoi il soutient que le dialogue avec les communautés culturelles est nécessaire afin d’éviter les clichés et les maladresses. Même des agences de casting hésiteraient à engager des gens issus de la diversité par peur de faire un faux pas. Disons que le scandale du blackface — lorsqu’un acteur blanc est maquillé pour personnifier un Noir — lors du Bye Bye 2013 est encore frais dans notre mémoire. Heureusement, il serait quasi impensable, aujourd’hui, de voir un Blanc jouer un rôle d’Amérindien, comme Marina Orsini l’a fait pour le personnage de Shehaweh!
AU-DELÀ DE BILL WABO
« Quand je vais dans les communautés, on m’appelle Bill », avoue en riant Marco Collin, qui endosse les habits de l’Algonquin dans la série Les pays d’en haut. « Les gens sont contents de voir quelqu’un qui leur ressemble, ils sont fiers », constatet-
il, humble malgré le succès. Plus qu’un simple personnage, Bill Wabo représente l’espoir, la possibilité pour les jeunes Autochtones de s’identifier et de se rendre compte qu’eux aussi, ils peuvent pratiquer le métier d’acteur. « Il y a tellement d’artistes, de musiciens chez les Autochtones, car il y a eu plusieurs exemples en musique d’artistes qui ont eu du succès, mais pas beaucoup qui veulent devenir acteurs, car on ne les voit pas beaucoup à l’écran », déplore Charles Bender.
Et il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance du public autochtone dans les cotes d’écoute. Car même si le réseau de télévision autochtone APTN demeure un incontournable dans les communautés, il reste que ces derniers sont très branchés sur les séries québécoises. « La télé québécoise est écoutée en masse dans les communautés autochtones du Québec parce que c’est une télévision francophone et la plupart des Autochtones ont le français comme langue d’échange coloniale », mentionne Charles Bender.
Heureusement, un vent de changement souffle sur le milieu télévisuel, selon Charles Bender. « Il y a une génération montante en ce moment qui est plus consciente, plus alerte, plus intéressée par les aspects de la diversité et qui a vraiment envie de voir un plus grand mélange sur leurs écrans et dans leurs créations ». Marco Collin parle même d’une conjoncture favorable . « Les gens sont intéressés à nous connaître », assure-t-il. Étrange paradoxe, car à l’heure où les rôles d’Autochtones sont recherchés plus que jamais, le manque de relève issue des Premières Nations est un réel enjeu. Certes, il y a bien la compagnie de théâtre francophone Ondinnok, qui forme des acteurs autochtones depuis 1985, mais, depuis trop longtemps, la diversité dans les écoles de théâtre se résume à la couleur des cheveux. Étant très sollicités, Charles Bender et ses comparses estiment qu’ils ont un rôle de plus à jouer. « Les quelques rares acteurs autochtones qui sont là essaient de remplir toute la demande et d’ouvrir le plus de portes possible pour qu’il y ait une relève qui puisse se créer par après », souligne-t-il.
UN QUÉBEC FRILEUX… ET EN RETARD
« Le Québec, jusqu’à récemment, accusait un gros retard sur le restant du
Canada et de l’Amérique du Nord par ceux qui ne font pas partie de la classe dominante blanche », estime Charles Bender. Un dommage collatéral résultant du combat du Québec pour sa survie à l’intérieur d’un univers anglo-saxon. Ce qui ne correspondait pas à un Québec blanc, francophone et catholique a été mis de côté, selon Charles Bender. « Quand on mène un combat, des fois il y a des choses qui tombent dans notre angle mort ». Aussi, le fait qu’il y ait moins d’Autochtones en milieu urbain au Québec pourrait aussi justifier ce retard. Alors que Montréal se veut
l’incubatrice de la majorité des productions télévisuelles, la conception de la diversité culturelle dans la métropole renvoie davantage à la communauté haïtienne ou vietnamienne. En ce sens, par leur statut de peuple fondateur, les Premières Nations se retrouvent un peu dans une catégorie à part. « On fait quand même face à l’ironie très gênante d’ouvrir la porte de notre belle maison à tous les nouveaux arrivés, mais dans cette gang de nouveaux arrivés, il y a le réel propriétaire de la maison », image
Charles Bender. Alors que diverses solutions sont recherchées actuellement entre différents organismes et institutions du monde télévisuel, il ne faut pas oublier que le public est lui aussi un vecteur de changements.
Charles Bender croit fermement que la population québécoise aime voir des visages
pluriels dans son écran. Elle devra ainsi convaincre les diffuseurs, souvent très frileux, d’aller vers ce qui est hors-norme. « On a peur d’un manque de discernement possible chez le public qui ferait en sorte que l’émission va être moins populaire, ce qui engrangerait moins de profit à la vente de publicité », se désole-t-il, en précisant que le public n’est pas uniformément blanc.
Alors, si les Québécois ont été nombreux à regarder Les Parent, pourquo ne seraient-ils pas prêts à suivre les tribulations de la famille Sioui-Bacon?