Le patrimoine à partager

Isabelle Gallard, Le mouton noir, Octobre 2017

Au-delà des compétences strictement logistiques comme la gestion de l’eau potable, des matières résiduelles et l’assainissement des eaux, les municipalités ont comme compétences propres les loisirs et la culture. En somme, c’est le palier de gouvernement qui, au quotidien, prend en charge la qualité de vie des citoyens. Les projets affectant globalement l’environnement social (urbanisme et aménagement du territoire, réseau routier, développement économique, etc.) sont des compétences que les municipalités partagent avec le gouvernement provincial ou les MRC. Il en va de même pour le patrimoine immobilier, source de fierté et d’appartenance, mais aussi souvent zone de conflits.

Le Petit Larousse définit le patrimoine comme l’héritage commun d’une communauté, d’un groupe d’individus, héritage généralement compris comme bien matériel, c’est-à-dire des objets, des livres, mais aussi des immeubles. Les municipalités doivent donc jouer à la fois de leur compétence en urbanisme et en culture quand elles s’occupent de conservation de patrimoine immobilier sur leur territoire, que ce soit pour des bâtiments dont elles sont propriétaires ou, le plus souvent, pour des bâtiments appartenant à des citoyens ou à des organisations. Le dossier est complexe puisqu’il est nécessaire d’orienter les choix de rénovation des citoyens tout en leur laissant une liberté de choix. Les règlements d’urbanisme et certains programmes d’aide à la rénovation patrimoniale sont là pour aider dans le cas des maisons d’habitation, mais peuvent ne pas suffire dans le cas d’immeubles privés, mais à usage communautaire, et historiquement hautement symboliques comme les églises.

Ces bâtiments, construits à partir des ressources de la communauté à l’époque où la société était plus homogène et la place de la religion plus prégnante, font partie, qu’on le veuille ou non, de l’histoire et de la culture québécoise. Cela ne veut pas dire que la religion l’est, seulement que le bâtiment et l’histoire qu’il porte font partie du patrimoine québécois. Avec la baisse de fréquentation des lieux de culte et la moins grande taille des congrégations religieuses, l’entretien de ces bâtiments devient de plus en plus difficile pour leur propriétaire. Car, au Québec, ce sont les paroisses, c’est-à-dire la communauté de personnes pratiquantes sur un territoire, qui sont propriétaires des églises et chargées de leur pérennité. Quand vient le temps d’entreprendre des travaux majeurs sur les églises, de nombreux dilemmes se posent pour les municipalités.

Comment reconnaître la valeur patrimoniale?

Faut-il utiliser la Loi sur le patrimoine culturel pour citer ces lieux de culte et forcer le propriétaire à réaliser des travaux, tout en sachant qu’il ne peut pas toujours se le permettre? Le risque est de voir le bâtiment vendu à un entrepreneur privé et de perdre le caractère communautaire du lieu. Or, dans bien des petites municipalités rurales, l’église correspond au cœur géographique et social du village, et symbolise le lien qui regroupe les citoyens, même non pratiquants ou athées.

Faut-il plutôt se porter acquéreur du bâtiment et, pour respecter la neutralité de fait de l’État à l’égard des religions, en supprimer le caractère sacré et la pratique du culte? Encore faut-il que la municipalité ait les ressources financières pour à son tour entretenir et rénover cette structure tout en lui trouvant une utilité communautaire et citoyenne qui répond à ses mandats.

Des transformations originales

Une troisième voie qui semble porteuse d’avenir est celle adoptée récemment à Saint-Valérien et à Saint-Germain de Kamouraska : la constitution par un regroupement de citoyens d’un OSBL qui s’approprie un édifice et redonne une nouvelle vie à ce patrimoine. Il s’agira généralement de transformer une église en salle communautaire ou en site d’activités. À Saint-Germain de Kamouraska  par exemple, on profite de la structure en hauteur de l’église pour aménager un mur d’escalade. Dans ce genre de cadre, la municipalité peut soutenir les projets et les frais associés sans en être totalement responsable et conserver sa neutralité dans le cas où un espace serait réservé au culte. Le seul défi est alors de savoir partager l’espace, les idées et les points de vue. Ne pas se braquer quand l’église perd son caractère sacré au profit d’activités communautaires areligieuses, mais aussi accepter que la pratique du culte puisse prendre une part importante dans la vie de certaines personnes. En somme, agir ensemble, grâce à nos différences pour surmonter toutes les embûches de financement et de pérennité d’un patrimoine qui doit rester vivant.

Cette solution permet, à mon sens, de donner un nouveau souffle à la vocation de rassemblement des églises pour faire vivre les villes et les villages et dynamiser un territoire qui en a parfois bien besoin. L’église peut alors devenir ou redevenir une source de fierté et un symbole de partage et de diversité.