SASPIGOULE, ABLOUSEUR et ousse-plute!

Judith Lavoie, Ski-Se-Dit, Aout 2017

Je mettrais ma main au feu et l’autre à couper que vous avez dans votre entourage un ablouseur ou une ablouseuse. Peut-être même deux ou trois. Vous ne me croyez pas? OK. OK. Et si je vous disais qu’un ablouseur est une « personne qui vous parle de trop près, vous colle en marchant, boit dans votre verre et goûte dans votre assiette »? Ah ha! Je sais. C’est troublant. (J’ai découvert récemment que ma fille était une ablouseuse alimentaire de très haut niveau. Un statut qu’elle assume et revendique pleinement! Formidable, comme dirait Stromae.)

Je vous entends d’ici me demander : « Mais ça sort de hiou, cette définition-là? » D’un dictionnaire (eh oui, encore) qui traite des petits tracas. Le dictionnaire a pour titre principal Le Baleinié et ses auteurs (ils sont trois, c’est donc un trio – mon fils me dirait « bravo Captain Obvious! ») s’appellent Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire OEstermann. Ils ont inventé des mots afin de nommer ces désagréments qui nous… j’allais dire « empoisonnent la vie », le verbe est un peu fort, disons plutôt qui nous saupoudrent l’existence d’une épice au goût amer. Cela dit, le dictionnaire, lui, est tout sauf amer. Il se veut léger et drôle (j’ai ri tout mon soûl, expression bizarre, sujet d’une prochaine chronique), mon mascara a coulé, c’est pour dire, tsé.                                                                                                                         En guise de cadeau, ces extraits. Dans la catégorie « tracas de trépas » ou moorsme (nom masculin, se prononce mô-orsm’), la série de verbes suivante :                                – ir : « mourir avant d’avoir rangé ses affaires »;
– maoûrir : « mourir en vacances »;
– mouir : « mourir tout nu »;
– moumaoûrir : « mourir tout nu en vacances avant d’avoir rangé ses affaires ». On ne souhaite ça à personne.

On trouve aussi des noms. En voici quelques-uns en vrac.                                               Saspigoule : « découverte tardive d’un bout de verdure coincé entre vos dents »; batana : « tyrannie de ceux qui vous font quatre fois la bise »;                                   davernude : « personne qui vous embrasse comme du bon pain et dont vous êtes incapable de vous souvenir du nom »; dreps (le s se prononce) : « fou rire avec
bronchite »; ousse-dreps : « fou rire avec bronchite et côte cassée »; plute : « prix oublié sur un cadeau »; ousse-plute : « … et c’était en solde ». Ces soucis vous sont familiers? Moi aussi.

J’ai d’autres exemples. Prenez les verbes gbeindre, tchermuzer et tchernuzir. Le premier veut dire « boire avec entrain une canette qui a servi de cendrier », le deuxième : « marcher dans une crotte avec des chaussures neuves », le troisième : « poser son pied nu sur quelque chose de mou ». Beurk. Trois autres verbes pas du tout miasmatiques. D’abord, comment dit-on : « s’endormir en pleine forme et se réveiller épuisé »? Wagardir (prononcer va-gar-dir). Ensuite : « se baigner en surveillant ses affaires »? Clichemurner. Et enfin : « faire la planche en surveillant ses enfants »? Ousse-clichemurner!
Pas pire, hein!

Pour finir, ce passage, qui intègre certains des mots cités ci-dessus : « […] On allait à Veules-les-Roses. […] Dès qu’on arrivait sur la plage, avec mon frère on subissait la batana des cousins qui tchernuzissaient déjà dans les algues. Maman et Tante Monique ousse-clichemurnaient à tour de rôle. Parfois Mémé nous accompagnait […] elle restait assise sur les galets et se plaignait de wagardir. Mémé a i à Veules-les-Roses. Après, on préféré Étretat » (Le Baleinié. Le dictionnaire de tracas. I-II-III, Paris, Seuil, 2009, p. 38). Bon, sur ce, je vous dis « soyez heureux, sans tracas,
ni saspigoule! »