Notre histoire ?

Martine Corrivault, La Quête, Québec, juillet-août 2017

 

Cet été, au Canada, les autorités politiques souhaitent que
les gens participent à de gros party. Pour ça, ils ont investi
des millions de nos précieux dollars à travers tout le pays
parce que, semble-t-il, « le monde aime ça fêter ». Restait à
trouver quoi fêter.

Du temps de la Rome antique, pour faire avaler le pire à la
population, la consigne des empereurs était : « Du pain et
des jeux ». Encore aujourd’hui, rien n’égale une grosse fête,
un festival ou une célébration pour se changer les idées.
Les autorités de la Ville de Montréal ont donc décidé de
célébrer le 375e anniversaire de l’arrivée des fondateurs,
Jeanne Mance et Pierre de Maisonneuve. À l’image de ce
dernier, on fait les choses en grand, sachant que Monsieur
aurait été un superbe entêté : « Quand bien même tous les
arbres de l’île seraient des Iroquois, il est de mon devoir d’y
fonder une colonie et j’irai! », aurait-il répondu à ceux qui
voulaient le convaincre de rester à Québec.

Ottawa, pour ne pas être en reste, veut une fête à travers
le pays pour souligner les 150 ans du Canada. Comme si,
Jacques Cartier, Sébastien Cabot et la bande à Champlain
n’étaient pas débarqués sur nos côtes, il y a plus de 400 ans.
En 1608, Champlain a tout de même fondé Québec, le premier
établissement permanent de la Nouvelle-France!
La réalité reste qu’Ottawa évoque la signature du document
de 1867 créant le Dominion of Canada. Même si cette
année-là, des six « colonies » qu’on voulait unir, seules
celles du Canada uni (Québec et Ontario actuels), du Nouveau-
Brunswick et de la Nouvelle-Écosse ont paraphé le
traité avec la Couronne britannique. Les autres attendront :
le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest, jusqu’en
1870; la promesse du chemin de fer décidera la Colombie-
Britannique à signer, en 1871; puis suivront l’Île-du-
Prince-Édouard, en1873, le Yukon en 1898, l’Alberta et la
Saskatchewan en 1905, Terre-Neuve et Labrador en 1949.
En 1999, le Nunavut rejoindra cette « confédération », qui
serait plutôt une « fédération »…

Mais on ne chipote pas avec ces détails quand on veut mobiliser
les gens de l’Atlantique au Pacifique : tant pis pour
les libertés prises avec les réalités de l’histoire, comme celle
évoquée par le maire de Montréal, Denis Coderre, lors du
lancement de ses fêtes avec l’illumination du pont Jacques-
Cartier lorsqu’il dit « le territoire de cette ville n’a jamais
été concédé par les Mohawks (Iroquois) ». Sujet délicat,
s’il en est un, pour éviter les débats et quelques mauvais
souvenirs!

Au printemps 2017, dans un discours prononcé lors des
cérémonies marquant les 100 ans de la bataille de Vimy
dans la région Hauts-de-France, le premier ministre Justin
Trudeau évoque que le Canada est né… en France, il
y a cent ans dans les tranchées de la guerre 1914-1918!
Ces différentes « interprétations » expliquent pourquoi
on n’enseigne pas notre histoire à l’école : on ne sait pas
quelle version servir aux enfants! Sans rejoindre le cynisme
de certains voulant qu’il s’agisse « d’affaires racontées
par des gens qui n’étaient pas là », admettons que les
faits sont souvent tordus pour correspondre aux intérêts
qu’on sert. L’histoire est écrite par les vainqueurs; pour
bien la comprendre et prendre ses distances, il suffit de
suivre les informations quotidiennes.

Pour ma part, en 2017, je préfère célébrer les 350 ans
de l’arrivée à Québec, en 1667, d’un voilier sur lequel
voyageait Madeleine Olivier, 25 ans, une femme célibataire
originaire de Caudebec-en-Caux, en Normandie.
Elle venait en Canada pour trouver mari et fonder une
famille. Dans ce pays nouveau, elle a rencontré Thomas
Rousseau et leur couple a élevé une dizaine d’enfants à
l’île d’Orléans. Madeleine est une des trois « Filles du Roy
» directement à l’origine des familles dont je suis issue.
En moins de dix ans, plus de 750 femmes célibataires traverseront
l’Atlantique pour vivre, comme elles, une réelle
aventure.

Les bateaux qui les portaient n’avaient rien de commun
avec le trois mats moderne des protagonistes de la téléréalité
La Grande traversée, contribution partielle de Radio-
Canada aux célébrations du 150e du pays. Et je doute fort
que Madeleine, Nicole, Marie, Anne et les autres n’aient
jamais, pendant la traversée, osé nager nues dans l’Atlantique,
comme les aventuriers de la télévision!

Aujourd’hui, un tiers de la population québécoise porte
les gènes des couples qu’elles ont formés ici, réglant sans
le savoir, le problème de la sous-population et de l’occupation
du territoire à l’époque où est vraiment né le Canada.
Alors, oubliez les 150 ans du Canada des politiciens.
« Il faut interroger le passé pour comprendre le présent», disaient les anciens Grecs. Parce qu’aujourd’hui est le
futur d’hier et le passé de demain.