Michel-Pierre Sarrazin, Ski-se-Dit, Val-David, juin 2017
En la voyant, j’ai tout de suite pensé à ces femmes aux longs cheveux qu’on rencontrait à Woodstock ou sur une plage d’Australie dans les années 1960 et qui exploraient le monde à la manière d’Alice au pays des merveilles. Andrée Chartrand a ce regard plein de vitalité des êtres dont la curiosité n’a pas de limites, et pas de fin. Elle vit aujourd’hui en marge de la forêt à côté, sur un espace dégagé, cerné par des arbres qui jasent dans le vent sans contrainte, adjacent à sa maison de pièces d’origine remplie de dessins d’enfants et d’objets parlants, un espace pour regarder courir les lapins pressés, qui ne portent pas de haut de forme ni de montre à gousset mais qui changent de costume avec les saisons. Le temps, ici, suspend son vol. Les tableaux sur les murs éclatent de couleurs comme un rire complice avec les éléments qu’ils illustrent. De mystérieux personnages rembourrés sont accrochés aux poutres; ils côtoient sur les murs la planche à roulettes d’un fils virtuose de la culbute et une bannière naïve où s’agite un peuple des Carpates vivant en marge d’une rivière de feutre, des gens heureux qu’Andrée a certainement fréquentés lors de ses multiples voyages sur tous les continents, y compris en Russie, où elle s’est rendue sur l’invitation de Patch Adams et 35 clowns qui ont fait rire les enfants des hôpitaux et orphelinats du pays. L’artiste est aussi une femme de cœur qui aide les femmes et les enfants aux prises avec les douleurs de la vie. Elle donne des cours, entre autres engagements, aux femmes enceintes accrochées à l’héroïne. Il faut le faire.
D’abord bachelière en histoire de l’Université d’Ottawa et étudiante aux Beaux-Arts, et plus tard élève de Louise Bloom Spunt et Karen Savage (Atelier de l’île), Andrée Chartrand écrit : « J’explore la couleur narrative, le fauvisme et l’expressionnisme à l’aide d’acrylique, de pastels à l’huile, d’encre, de crayons de couleur et de fusain. » Comme Henri Matisse, qui est une de ses sources d’inspiration, elle croit que la couleur devient le sujet de l’œuvre, quand, comme le conseillait le maître, l’artiste laisse l’image émerger des profondeurs.
À Val-David, elle a participé aux mouvements récents pour les arts visuels : entre autres, les Créateurs de rêves (2012) et Songes d’été, qu’elle a cofondés. Elle expose régulièrement à la galerie Hutchinson, comme ce sera le cas en août prochain. On trouve de ses œuvres, petites et grandes, un peu partout dans les Laurentides et ailleurs dans le monde. Son atelier est ouvert sur rendez-vous (819 326-7204). On y accède un peu comme Alice au terrier du lapin pressé : il faut trouver l’entrée, et puis le temps s’arrête. On entre dans un autre monde, quelque chose de parallèle, où il y a des oiseaux et des renards, des chats et des petits cochons multicolores. Des fleurs aussi, qui font penser que c’est dans la tête qu’elles fleurissent le mieux. « Peindre est un privilège, conclut Andrée Chartrand. C’est un travail qui naît de la passion, et je m’arrange pour que ça arrive. » Elle qui a vu le monde sous toutes ses coutures, elle croit que c’est au Québec que l’art est vraiment possible. Pourvu que ça dure, dirait le lapin d’Alice.