Mickael Henri Lambert, La Vie d’Ici, Shipshaw, mai 2017
On l’entend depuis plusieurs années, Arvida veut sa place à l’UNESCO. L’ancienne cité industrielle veut être reconnue parmi toutes les villes canadiennes pour la particularité de son érection et la valeur patrimoniale de tous les éléments qui restent de ses plus belles années.
Je dois avouer que lorsque je suis arrivé au Saguenay, je trouvais la démarche assez risible. Sans vouloir paraitre hautain, j’ai eu l’occasion de visiter dans mon enfance les pyramides mayas de Chichen Itza (qui sont reconnues par l’UNESCO) et Arvida ne joue clairement pas dans la même ligue. Par contre, après avoir rencontré, dans le cadre d’un cours au cégep, Carl Dufour (conseiller du district d’Arvida) et entendu ses arguments, je dois avouer que l’ancienne ville a des chances et que finalement, le jeu en vaut peut-être la chandelle.
Hors de question cependant d’affirmer qu’on peut comparer de quelque façon que ce soit la civilisation maya à la «civilisation» saguenéenne, si fière soit-elle. Les mayas ont fait des découvertes astronomiques importantes avec cinq cent ans d’avance sur le reste du monde, à une époque où on se demandait en Europe si se laver le corps était bon pour la santé. D’ailleurs l’UNESCO ne veut pas non plus les faire jouer dans la même équipe. Il existe plusieurs catégories de patrimoine mondial, dont celle de «patrimoine industriel» et c’est là qu’Arvida pourrait être intéressante.
Jusqu’à présent, les lieux qui font partie du patrimoine canadien enregistré à l’UNESCO sont soit des sites naturels d’une grande beauté ou des vestiges du début de la colonisation. Ça explique peut-être pourquoi les touristes étrangers ont souvent une image folklorique du Québec et du Canada. En réalité, notre histoire industrielle est considérablement importante. C’est l’étincelle qui explique pourquoi nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents ont vendu leur terre pour s’établir en ville, pour le meilleur et pour le pire. L’industrialisation a changé notre façon de penser et a jeté les fondements même de la société nord-américaine moderne. Il serait temps que cela soit reconnu à l’international.
Le problème fondamental, c’est que les sites industriels sont laids. Ça reste du béton et de l’acier assemblés dans une volonté d’efficacité. C’est un peu gênant de présenter ce seul visage du Saguenay à l’international. Espérons que notre majestueux fjord soit lui aussi reconnu…
Peut-être qu’Arvida rejoindra le prestigieux catalogue de l’UNESCO, mais ça sera la dernière page de son histoire industrielle. On ne se le cachera pas, l’industrie de l’aluminium va s’expatrier peu à peu vers les pays en développement où la fabrication est moins coûteuse. Bien sûr, les historiens vont continuer à s’intéresser au «phénomène Arvida» : un terrain vague qui est devenu le centre mondial de la production d’aluminium en quelques années, mais d’ici quelques décennies, on va faire le tour de la question. Non, en fait c’est Shipshaw qui va intéresser les historiens des siècles à venir, Saint-Jean-Vianney plus précisément.
Un matin il y a un village, le lendemain il est disparu. Encore aujourd’hui on ne peut pas expliquer avec exactitude ce drame. Soit le terrain a glissé, mais pourquoi? On parle quand même d’un évènement qui est arrivé près de vingt ans après que l’Homme ait marché sur la lune, pas d’un village de l’antiquité en bois et en paille! Personnellement, je trouve ça horrible et fascinant. Ce ne sont pas seulement des maisons qui ont été perdus, c’est aussi et surtout une communauté qui s’est disloquée. Un milieu de vie qui a cessé d’être en quelques heures. C’est sûrement dans des situations comme celle-ci qu’on (re)commence à s’intéresser à la spiritualité, quelle qu’elle soit. Ce qui est sûr, c’est que ce qui est arrivé à Saint-Jean-Vianney soulève encore de nombreuses questions. Les historiens et historiennes à venir auront beaucoup de plaisir à chercher des réponses dans la bouette shipshoise. Pour le moins que les souvenirs demeurent vivants.
Saint-Jean-Vianney, c’est un peu notre Pompéi à nous, l’exact opposé d’Arvida. D’un côté du Saguenay on a pris 6 mois à construire 135 maisons. De l’autre côté, seulement quelques minutes ont suffi à engloutir une quarantaine d’habitations. Arvida s’est efforcé de faire l’Histoire, Saint-Jean-Vianney l’a subi.