Hélène Laverdure. Photo : MPS

Hélène Laverdure, chef d’équipe

Michel-Pierre Sarrazin, Ski-se-Dit, Val-David, mai 2017

Quelles qualités humaines faut-il donc posséder pour devenir gestionnaire de la mémoire réelle et globale du Québec? Il faut peut-être naître dans un petit village tranquille, entourée d’une famille aimante, comme ce fut le cas pour Hélène Laverdure. Il n’y a pas si longtemps, elle fréquentait encore l’école Sainte-Marie, à Val-David. Entourée des bouts d’choux de familles proches et amies, les Saint-Louis, les Dufresne, les Monette, les Vézina, les Vendette, et ceux de cent autres foyers où la marmaille apprenait à lire et à compter avec Madame Campeau, ou Sœur Jeannette, que tous adoraient. Hélène a grandi dans la maison familiale, rue Monty, avec ses trois frères, Sylvain, Jean-Yves et Pierre, sous l’œil attentif de maman et de papa Julien, plombier. Tout le monde au village connaissait Julien Laverdure. Et celui-ci connaissait la tuyauterie de la moitié des résidents du coin. Docteur tuyaux. La patience et la gentillesse incarnées. La rigueur et le courage de faire face aux problèmes des gens et de les régler, coûte que coûte, été comme hiver. C’était une bonne école pour les enfants, c’est sûr.

La petite Hélène devait être la fille à son père (tous les pères qui n’ont qu’une fille la couvent d’instinct), ce qui lui a sans doute permis d’apprendre très vite quelques règles essentielles sur la responsabilité, franchement utiles quand on se destine au service public.

Aujourd’hui, Madame la Conservatrice et directrice générale des archives nationales du Québec, toujours souriante, avenante et l’œil espiègle comme la petite fille qui jouait des tours à ses frères, impose par sa seule présence un sentiment de respect. Un peu comme un capitaine sur le pont de son navire. Lourdes responsabilités. Pour Hélène et ses centaines d’employés, la tâche est immense, infinie : il s’agit de maintenir vivante la devise du Québec, « Je me souviens ». Dans le sens littéral de la métaphore.

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Gérer quotidiennement plus de 66 kilomètres de documents officiels, ça prend de l’ordre et de la méthode. Tout ce qui se dit et se fait à l’Assemblée nationale est consigné aux archives nationales, et ce n’est que la partie émergente de l’iceberg1.

Beaucoup, beaucoup de documents, d’informations, de sujets, de recherches. Mais surtout, une nécessité absolue: faire en sorte qu’il soit possible de trouver l’objet d’une recherche, papier ou numérique, le plus vite et le plus complètement possible. Ce qui signifie la mise en place d’un réseau interconnecté de références, selon une codification simple et universelle. Ce qui n’est pas si simple à imaginer. Hélène Laverdure a une longue pratique de la méthodologie et de la réflexion. D’abord technicienne en documentation (elle travaillera au début à la Commission scolaire des Laurentides, entre autres), elle sera ensuite recrutée comme archiviste à la Communauté urbaine de Québec au début des années 90, avant de passer au ministère du Travail, où, au tournant du siècle, elle deviendra chef d’équipe de la gestion documentaire et chargée de projet. Puis, elle ira planifier, gérer et organiser la documentation au ministère des Transports de 2005 à 2011. Pour ce seul ministère, il s’agira d’implanter et d’intégrer un système de gestion des documents utilisés par 4 500 utilisateurs. En 2012, elle revient à la Ville de Québec comme Directrice de la division de la gestion des documents et des archives. Croissance des responsabilités.

Madame Laverdure est une personne méthodique. Derrière son beau sourire et ses yeux gris, il semble que tout soit en ordre. Réfléchi, expérimenté, appliqué, partagé. Tout est là. Car garder sous scellés (aux archives nationales, c’est un peu comme Fort Knox dans les séries américaines : on ne plaisante pas avec la sécurité) des millions de documents provenant de l’Assemblée nationale, comme le stipule la loi, venant des fonds régionaux, des fonds privés, des collections de toutes sortes (les archives de Jeannette Bertrand aussi bien que celles de René Derouin), sur tous les sujets, du patrimoine à l’art en passant par la documentation concernant certains évènements tragiques de l’actualité… garder tout ça, oui, mais pour être en mesure de retrouver le moindre bout de papier. La source réelle. Obligatoire lors d’une enquête publique ou pour une demande venant d’un tribunal ou d’une commission d’enquête.

Pour avoir une idée de la complexité de la tâche : seriez-vous capable, en quelques minutes, de trouver votre sommaire des dépenses en pharmacie pour l’année 2005? Aux archives, on n’aura sans doute pas cette information, peu utile aux chercheurs, mais on vous trouvera le menu servi au Parlement à l’honorable Maurice Duplessis en mai 1936. Rapidement. Grâce, entre autres, au transfert de données sur support informatique. Archiviste diplômée, Hélène Laverdure maîtrise elle-même, ce qui n’est pas toujours le cas chez les hauts fonctionnaires, une flopée de logiciels tels que Gestion virtuelle, Coba, Gesdoc, Livelink, Ascent Capture, Kodak Capture Pro, Office.

Avec ses collègues spécialistes, la grande patronne veille à la mise en oeuvre d’un système de structures qui sert à évaluer et à classer les documents selon leur valeur, référentielle, historique ou financière. Aujourd’hui que la mémoire informatique est disponible et pratiquement illimitée, il n’y a rien d’étonnant à ce que la Bibliothèque nationale et les Archives nationales aient fini par fusionner. Les liens entre les savoirs sous toutes formes se trouvent ainsi renforcés. Par exemple, un scénariste (un Luc Dionne) qui veut écrire une série télé sur une période de notre histoire ou sur un personnage public peut trouver là une quantité phénoménale d’informations : catalogues, collections, livres numériques, ressources en ligne, artéfacts. Disposant d’un réseau national accessible dans toutes les régions du Québec, Archives nationales à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) permet ainsi à tout résident du Québec de faire des recherches pointues, d’emprunter des documents, d’accéder à sa généalogie. De même, les collectionneurs peuvent désormais transférer aux générations futures la somme de toutes leurs passions. Le plus étonnant, c’est que cette machine complexe, qui doit souffrir d’une sorte de syndrome de pica, ne diffuse actuellement que deux pour cent de ses avoirs! Et c’est déjà suffisant pour enterrer sous les documents tout un village comme le nôtre.

La mémoire. Imaginées par Athanase David il y aura bientôt cent ans (oui, le même Athanase à qui Val-David a voulu rendre hommage en adoptant le patronyme en 1944), les archives nationales du Québec sont nées de cette idée très simple : pour qu’un peuple existe, il faut protéger sa mémoire. Il faut, comme le précise Hélène Laverdure, des gens passionnés, dévoués, compétents. Et à leur tête, il faut quelqu’un dont la force tranquille et l’amour de notre histoire sont sans compromis. Quelqu’un comme Hélène Laverdure, très certainement.

 

1 Officiellement, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) est une société d’État née de la fusion, en 2006, de la Bibliothèque nationale du Québec et des Archives nationales du Québec. La Bibliothèque nationale  du Québec avait auparavant fusionné avec la Grande bibliothèque en 2002.