Photo : Courtoisie Karine Charbonneau

Gagner sa vie à jouer ?

Francis Beaudry, La Quête, Québec, mai 2017

De nouveaux développements technologiques, notamment dans le matériel informatique et dans l’accès à Internet, ont récemment donné naissance à un nouveau métier en ligne: celui de streamer.

Grâce à son ordinateur ou à sa console de jeux, le streamer va diffuser en ligne et en direct ses péripéties de joueur (ce qu’on appelle ici stream) à l’intention d’un public amateur de jeux vidéo. En échange, les spectateurs vont verser des sommes ponctuelles ou mensuelles à leurs streamers préférés, afin de les soutenir. En plus de ces montants, les streamers peuvent compter sur des ententes publicitaires qui leur rapportent des revenus supplémentaires.

Sur des plateformes vidéo comme Twitch et YouTube, les streamers vont produire beaucoup de contenu en ligne pour conquérir plus de visiteurs et développer leur marque personnelle. Selon ce qu’a affirmé le streamer Jeffrey « Trump » Shih à Jesse Aaron, du Huffington Post, un streamer populaire peut toucher un revenu de 100 000 $ par année. Qu’en est-il au Québec ? La Quête a interviewé Derek « Mister Dee » Phaneuf et Karine « Kazzie » Charbonneau, deux streamers de la région de Montréal. Ils ont accepté de se prêter au jeu pour nous offrir leur point de vue sur ce nouveau phénomène.

 

Une affaire de passion et de communauté

Selon Karine, la première chose qu’un aspirant streamer doit faire, « c’est un peu comme avec le sport, c’est d’étudier les streamers, de savoir comment ça marche. » Quant à Derek, la première motivation qui l’a mené vers le streaming est l’amour du jeu vidéo « Au début, je voulais juste partager mon appréciation du jeu Diablo III. Chaque parcours de streamer est différent : moi, le mien a commencé juste parce que je voulais montrer cet amour-là. » Il explique ensuite comment la communauté qui le regardait jouer chaque semaine a contribué à transformer ses streams en vocation. « Je suis enseignant dans une école qui dessert une population plus défavorisée. Un jour, un de mes spectateurs m’a fait un don d’argent en me demandant si je pouvais écrire son nom sur un crayon que j’allais ensuite remettre à un de mes élèves. C’est l’événement qui a démarré l’aspect “ charité ” de mes streams. »

Selon Karine, il faut veiller, lors de la création d’une communauté de spectateurs, à rendre leur expérience structurée. « C’est important de streamer aux mêmes heures chaque semaine, pour s’assurer que les gens non seulement puissent revenir te regarder jouer, mais aussi qu’ils puissent éventuellement attendre que tu arrives en ligne. » Pour Karine, fournir du contenu à sa communauté est assez facile parce qu’elle s’est organisée pour diffuser ses parties aussitôt qu’elle commence à jouer. « Mon équipement de streaming est déjà installé en permanence. J’ai juste à m’asseoir et à tout allumer quand j’ai envie de jouer, et ça ouvre le stream. »

 

Un marché récent

Bien que nos deux interviewés soient passionnés par leur activité de streamer, ils doivent se contenter de le pratiquer dans leurs heures libres, comme un simple passe-temps. « Je fais du streaming pour la charité, mais c’est clairement impossible de faire un stream rentable avec la taille du marché », estime Derek, selon qui il est probablement impossible de vivre de ce métier dans le Québec francophone.

En plus du nombre réduit d’adeptes— et du peu de visionnements en ligne qui en résulte — dont souffrent les streamers du Québec, des coûts importants attendent ceux qui veulent se lancer. « Pour avoir un stream qui a de l’allure, c’est certain que ça prend des investissements matériels, affirme Karine. Pour les ordinateurs, ça prend une machine forte qui est capable de jouer le jeu et de le transférer vers la diffusion. On peut facilement parler d’une machine à plusieurs milliers de dollars. » Sera-t-il possible, un jour, de voir grandir la communauté de streamers québécois pour que leur activité devienne un métier rentable ? Derek n’en est pas certain. « La communauté de streamers est très divisée au Québec. Les gens restent beaucoup entre eux, c’est difficile d’aller d’un groupe à l’autre et de se sentir [le] bienvenu. Ce n’est pas idéal pour la croissance de la communauté. »

Karine, elle, se montre beaucoup plus optimiste envers le futur du streaming. « On a eu de gros événements au Québec en 2016, avec la croissance du Lan ETS, la venue du Northern Arena… Je pense que 2017 va être l’année où les sports électroniques et le streaming vont faire une poussée dans le mainstream au Québec. » Pour elle, ces deux tournois majeurs de sports électroniques, diffusés sur les grandes plateformes, représentent l’espoir de croissance des streamers du Québec.