Gabrielle Chaumont, Contact, Témiscaming, le 12 avril 2017
Le couple Patrick et Lilian Bucher est bien connu de tous dans la communauté ayant été en affaires durant plus de 60 ans. Ils ont vécu la majeure partie de leur vie à Kipawa étant les propriétaires du magasin général situé au coeur du village. Dans son autre vie, Patrick «Pat» fut militaire et il a combattu lors de la deuxième guerre mondiale. Nous vous présentons aujourd’hui un portrait de ce vétéran et homme d’affaires de Kipawa, ainsi que celui de son épouse Lilian. M. Bucher est né à Montréal. Sa mère, Alice Kelly, a d’ailleurs été la deuxième personne non autochtone à voir le jour à Kipawa. Pour sa part, Lilian est d’origine britannique. Elle est née à Newcastle, en Angleterre. Elle n’a pas connu son père qui est décédé alors qu’elle n’avait qu’un an. Elle a deux demi sœurs plus jeunes qu’elle, Patricia et Margaret, qui ont également quitté l’Angleterre avec leur mère pour venir s’installer au Canada en 1948. Leur père est lui aussi décédé alors qu’elles étaient en bas âge. Patricia est devenue sœur dans un couvent de Montréal et a même écrit une biographie sur Sœur Marguerite Bourgeoys, alors que Margaret (Simpson) est devenue enseignante. Elle a d’ailleurs enseigné pendant un an à l’école de Témiscaming.
Service militaire
M. Bucher s’est enrôlé dans le service militaire en 1942 et il s’est entrainé dans la région où se trouve aujourd’hui Thunder Bay, dans le nord de l’Ontario. En 1943, il s’est rendu à Suffield, près de Medicine Hat en Alberta : «Là-bas, l’armée testait des armes chimiques», racontait-il : «C’étaient des bombes contenant du gaz empoisonné. Ça fonctionnait un peu comme un obus sauf qu’au lieu que ce soit des morceaux de métal dans la coque qui volaient dans tous les sens au moment de l’explosion pour blesser les soldats, c’était du gaz pour étouffer ou empoisonner l’ennemi». Ces armes chimiques n’ont finalement pas été utilisées pendant la grande guerre.
En novembre 1943, M. Bucher est parti pour l’Europe, plus précisément pour combattre en Angleterre. Pendant les années suivantes, il s’est également rendu en Italie et en Hollande (Pays-Bas). «Je devais aussi aller combattre en Normandie, mais je n’ai pas pu parce que je souffrais d’un abcès dentaire. On ne t’envoie pas au front quand tu as un abcès !», ajoutait-il.
Il nous racontait aussi une péripétie survenue lors de son séjour dans les Pays- Bas: «Les Allemands nous avaient confisqué une voiture couleur camouflage mais ils ont manqué d’essence. Ils l’ont laissée là et quelques-uns de nos hommes sont allés la chercher. Nous avions seulement 12 gallons d’essence à mettre dedans!»
Retour au Canada
C’est d’ailleurs lors de son séjour en Europe que Pat a rencontré Lilian. C’est un ami qui les a présentés l’un à l’autre durant une fête. Le couple s’est marié dans le temps des Fêtes en 1945 en Angleterre pour ensuite venir s’établir à Kipawa en 1946. Le processus d’immigration n’a pas été une chose facile, nous racontait Lilian : «Il a fallu attendre l’approbation du gouvernement canadien. Beaucoup de soldats canadiens ont épousé des femmes anglaises, françaises, allemandes, belges ou hollandaises. Il a fallu faire des listes pour l’immigration et j’ai dû attendre mon tour. On devait aussi passer des examens médicaux et le prêtre qui nous a mariés a même dû s’assurer que nous n’avions jamais été mariés auparavant».
Le tirage au sort pour déterminer l’ordre de ceux et celles qui pourraient traverser l’Atlantique a fait que Lilian a dû quitter l’Angleterre deux mois avant son mari. Elle racontait avoir effectué la traversée à bord du Queen Mary et elle est demeurée à Montréal en attendant le retour de Pat.
Le magasin : une histoire de famille
Le Bucher General Store de Kipawa est une entreprise familiale. L’édifice d’origine existait déjà depuis longtemps lorsque la grand-mère de M. Bucher en a fait l’acquisition autour de 1922. À l’origine, le bâtiment flottait sur le lac Kipawa. Il a éventuellement été amarré au rivage, puis placé sur des piliers. Lorsqu’ils se sont établis à Kipawa pour de bon, Pat et Lilian se sont consacrés corps et âme au magasin familial. Leur fils, Christopher, s’est lui aussi impliqué dans l’entreprise avec sa femme Barbara. Aujourd’hui, le commerce est géré par le petit-fils des Bucher, Anthony. Le magasin a offert plusieurs services au cours de son histoire : comptoir à repas, vente de moteurs et de bateaux, d’articles de pêche, ravitaillement en essence pour les bateaux et un comptoir postal.
Comme mentionné précédemment, la mère de M. Bucher a grandi à Kipawa mais un jour, en visite à Montréal, elle a rencontré l’homme qui allait devenir son mari. La famille s’est par la suite établie à Haileybury sur la rive ontarienne du Lac Témiscamingue. Cependant, en 1922 est survenu le grand feu d’Haileybury et la ville a été réduite en cendres : «La grand-mère de Pat avait un magasin là-bas. Après l’incendie, elle est revenue à Kipawa», expliquait Lilian.
Ce n’est qu’après la guerre que la propriété de la famille est devenue un magasin: «Nous nous sommes lancés en affaires à Noël 1946», racontait Mme Bucher. «Nous avions un chèque de 60$ du gouvernement que nous avons envoyé à un fournisseur de North Bay pour obtenir notre «stock» pour démarrer notre magasin. Nous avons travaillé très fort». Le printemps suivant n’a pas été de tout repos, car ce fut l’année de l’inondation de Kipawa : «Nous avons été inondés», expliquait Mme Bucher. «Les rails du chemin de fer ont été emportés et le train ne pouvait plus circuler.
Souvenez-vous qu’à l’époque, il n’y avait pas de route et le seul moyen de transport était par le train». En plus de voir son seul moyen d’approvisionnement coupé, le magasin était aux prises avec environ un mètre d’eau entre ses murs : «Nous avons emprunté deux pompes de la compagnie du chemin de fer pour pomper l’eau dehors !», se souvenait Mme Bucher : «L’eau a fini par partir mais il restait un affreux dégât. Nous avons refait le plancher et les murs. Nous avons ensuite aménagé un espace à l’arrière avec des chambres à coucher. Nous avons tout arrangé, tout nettoyé, acheté des meubles et aménagé une belle salle de séjour».
Malheureusement, les Bucher n’étaient pas au bout de leur peine. Seulement deux ans plus tard, soit en décembre 1949, un violent incendie a complètement détruit le magasin: «Nous avons tout perdu dans cet incendie. En plus, c’est arrivé trois jours avant Noël», racontait M. Bucher. Loin de se laisser abattre par cette pénible épreuve, le couple a reconstruit son commerce qui trône toujours sur la rive du lac Kipawa. M. Bucher s’est impliqué dans l’entreprise familiale jusqu’à ce que lui et sa femme quittent Kipawa pour s’installer à Témiscaming l’automne dernier.
Les Bucher en 2017
M. Bucher est aujourd’hui âgé de 93 ans et Lilian, de 94 ans. Le couple habite aux Résidences Témiscaming depuis que M. Bucher a été vicitme d’une crise cardiaque en septembre 2016. «Il a été transporté à North Bay et a subi une opération. Il est resté deux mois à l’hôpital», indiquait Mme Bucher. «Les docteurs ont dit que nous ne pouvions plus demeurer seuls et loin de l’hôpital». M. Bucher n’est pas le seul à avoir éprouvé des problèmes de santé. Mme Bucher a subi une sérieuse opération l’an passé, qui, au final, n’aurait pas été nécessaire : «On m’a dit que j’avais un cancer et m’ont enlevé une partie d’un poumon. À l’hôpital de North Bay, le docteur m’a dit : «Qui vous a dit que vous aviez le cancer ? Vous n’avez pas le cancer et vous ne l’avez jamais eu !» Il ne me reste qu’un poumon et il s’est même affaissé pendant l’opération», regrettait-elle non sans émotion dans la voix. Elle a expliqué qu’elle adore la musique et qu’elle faisait partie de la chorale de l’église, mais elle ne peut malheureusement plus chanter en raison de sa condition physique. Mme Bucher ajoutait qu’elle et son mari souhaitent un jour retourner dans leur maison de Kipawa qu’ils possèdent toujours.