Sauver les bélugas du Saint-Laurent… à Saint-Hyacinthe

Audrey Neveu, Journal Mobiles, Saint-Hyacinthe, mars 2017

Cancer, dérèglement de la glande thyroïde, mort prénatale : c’est à Saint-Hyacinthe que sont étudiées les causes de décès des bélugas, à la Faculté de médecine vétérinaire (FMV) de l’Université de Montréal. Grâce à ce programme de recherche, Saint-Hyacinthe est devenu un haut lieu du savoir canadien sur cette baleine blanche arctique.

Six à huit fois par année, la carcasse d’un béluga est retrouvée sur les berges du Saint-Laurent et transportée, par camion réfrigéré, jusqu’au laboratoire de la FMV. Depuis 1982, les chercheurs ont pratiqué une nécropsie sur 244 animaux.

Depuis septembre dernier, les bélugas du fleuve Saint-Laurent sont officiellement considérés comme une espèce en voie de disparition. Ils furent décimés jusqu’en 1979 par la chasse à la baleine, aujourd’hui interdite, et leur nombre n’a cessé de décroître, passant de 10 000 individus en 1885 à seulement 900 en 2012. Les scientifiques craignent le pire, car un nombre record de 22 bélugas morts se sont échoués en 2016 sur les rives du fleuve, par rapport à une moyenne habituelle de 15 par année.

 

Des explications partielles

Les raisons exactes du déclin des bélugas sont encore inconnues. Toutefois, au fil des ans, les chercheurs de la FMV ont découvert que beaucoup meurent du cancer, fait rare chez les animaux sauvages. Les scientifiques croient que cette mortalité inhabituelle est liée aux composés toxiques relâchés par les alumineries dans la rivière Saguenay, dans les années 1950 et 1960.

De plus, le système immunitaire des bélugas serait aussi affaibli par des produits toxiques comme les BPC, qui rendent les baleines vulnérables aux maladies infectieuses. De nouveaux contaminants, les PBDE, semblent aussi perturber l’accouchement, causant parfois la mort des nouveau-nés et de leur mère.

 

Des bélugas en terre maskoutaine

Si les carcasses de bélugas sont acheminées à Saint-Hyacinthe, c’est qu’il est de loin plus facile de les examiner en laboratoire. « Il est difficile de faire des autopsies sur la plage. Il y a les marées, il faut se dépêcher et les baleines sont à moitié submergées dans l’eau », explique le Dr Stéphane Lair, responsable du programme et professeur à la FMV. Environ la moitié des carcasses ne peuvent être examinées en raison de leur mauvais état de conservation.

Stéphane Lair a pris le relais du fondateur du programme, Daniel Martineau, qui a rassemblé il y a trente ans des chercheurs de l’UQAM, de l’Université de Montréal, d’agences gouvernementales et de divers organismes pour comprendre les causes de décès des bélugas, avec l’appui de Parcs Canada et de Pêches et Océans Canada.

 

Protéger les bélugas

Stéphane Lair se réjouit qu’une nouvelle réglementation ait mis fin aux déversements polluants des alumineries dès les années 1970, faisant chuter le nombre de cancers chez les bélugas.

Selon le scientifique, il faudrait aussi interdire les BPC et tous les contaminants qui affectent ce cétacé, et cesser de perturber leurs zones de naissance pendant l’été, la période des accouchements. En ce sens, Parcs Canada a interdit aux embarcations l’accès à la baie de Sainte-Marguerite, dans le parc du Saguenay. Selon Stéphane Lair, une zone près de Cacouna, surnommée la « pouponnière des bélugas », devrait aussi être protégée.

« On ne peut pas attendre une réponse définitive sur les causes pour agir. Même si on n’est pas certains que les problèmes des bélugas sont associés aux dérangements pendant la période de naissance, donnons-leur une chance », plaide Stéphane Lair.

 

La plus grande menace

La menace du réchauffement climatique plane aussi sur les bélugas. Ces baleines arctiques ne peuvent vivre que dans l’eau glacée du Saint-Laurent. S’il se réchauffe, y survivront-elles ? « Rien n’est moins sûr, dit Stéphane Lair. On essaie de mettre en place des mesures pour diminuer le réchauffement de la Terre, mais ça ne sera pas réglé en un an, ça se fera à très long terme. C’est notre plus grand défi », conclut-il.