Photo : Alexandra Guellil

Zoom sur Simon

Marie Brion, L’Itinéraire, Montréal, le 1er avril 2017

Simon a perdu ses repères à huit ans, quelque part entre les déchirures de ses parents qui se séparent et prennent leurs enfants comme monnaie d’échange. C’est « la fin de cette vie parfaite, normale. » Il se rebelle, est expulsé de l’école qu’il aimait. Son monde s’écroule. À la polyvalente il commence à fumer du pot pour calmer son anxiété. « Les quantités augmentent, le goût d’aller à l’école diminue.»

Il lâche l’école, cumule les jobines, consomme intensivement À seize ans c’est son premier épisode de rue. Ses parents «atteignent leur niveau de saturation» et son père demande l’aide de la DPJ. Simon se retrouve en centre d’accueil.

Dès la première fin de semaine, en manque de drogue, il tente de s’enfuir avec d’autres gars. Ils battent le gardien de nuit. « Ça a pas marché, on s’est fait pogner. » Criminalisé, étiqueté violent, il va en détention fermée.

Huit mois enfermé dans sa chambre 20 heures sur 24, privé des activités avec les autres. «Moi j’étais dans ma chambre, j’pompais, j’ai eu l’impression d’être en cage. » Il est transféré dans un autre centre où il suit des cours de boulangerie et obtient son diplôme.

Il sort de cette période sevré, plein de bonnes intentions, mais «le cycle repart rapidement ». Il se fait prendre avec du crack et écope de six mois de détention. Le tribunal lui donne le choix entre un centre d’accueil ou une thérapie fermée au Portage. Il n’hésite pas: « Sur le bord d’un lac y a pas de clôture!» Investi à 100 % dans sa thérapie, il y reste sept mois de plus, sur la base du volontariat. Il apprend à se comprendre et à se connaître, mais retombe rapidement dans la rue et la consommation. Pour deux, trois ans cette fois.

 

Son père le ramène à la maison

Un jour, son père le croise par hasard. «J’allais pas bien, vraiment. Il l’a vu dans ma face. Pour un père, ça a dû être dur. » Il lui a dit : « Simon, ça te tenterait pas de venir passer deux-trois jours dans le Nord, juste pour te reposer?»

Simon habitera huit ans à Sainte-Adèle. «J’avais besoin d’un break. Le début de ma belle vie.» Il travaille au village, se fait un nouveau réseau d’amis, « feux de camp, guitare, pas de préjuges, que du bien ». Il fonde une famille, a deux petits garçons.

Nouvelle cassure quand son père meurt, il a six ans. « C’était mon mentor. Là, c’est une boule de neige qui déboule.» Il perd sa job, ses amis s’éloignent, sa blonde le laisse. La  dépression l’envahit. « J’avais tout perdu, plus l’goût. J’me suis ramassé dans la rue, encore ! Celle-là j’lai trouvée dure parce que j’avais goûté au bonheur.» Il retrouve ses patterns et son ancien réseau à Montréal. Il commence à faire de la fraude bancaire et se fait arrêter.

 

Le coup de pied au cul

Puis il croise Jean-Paul, camelot de « Ça s’est fait en cinq minutes. Ji-Pi appelle L’Itinéraire: «Je t’envoie quelqu’un, il a envie  d’être camelot: » Simon sort de la rue pour entrer à L’Itinéraire. «Ils m’ont mis cinq journaux dans les mains. « Bienvenue chez toi’. Une des premières fois où je suis entre quelque part sans me demander ce que je pourrais voler. C’est comme une vague d’amour, un courant d’air de chaleur humaine. Qu’ils me fassent confiance,  qu’ils me donnent des journaux, des billets d’autobus, qu’ils prennent du temps pour moi, je trouvais ça cool.» Il a vendu ses cinq journaux en trois minutes. «J’étais gêné,  je me suis mis à sourire. Le monde m’a souri, parle, souhaité bonne chance, j’étais à ma place. C’est ce dont j’avais besoin, je  suis en train de guérir d’une dépression juste avec le sourire des gens. Non seulement j’ai un travail avec un but dans ma vie, mais aussi j’ai du monde qui m’écoute, me soutient… Et j’ai aussi des choses à apporter à L’Itinéraire, c’est du donnant-donnant, je m’implique beaucoup.» Dans la vente, mais aussi dans la vie du groupe, la rédaction. « J’ai retrouvé ma fierté, c’est le seul remède à la honte. » Grâce à L’Itinéraire, il a aussi retrouvé  un logement. «L’Itinéraire a probablement sauvé ma vie. Jean-Paul m’a donné un coup de pied au  cul que je me serais pas donne tout seul. Il le sait pas, il est juste là, il sourit, il vend ses journaux … »