Sylvie Gourde, Le Tour des Ponts, Saint-Anselme, mars 2017
Le 1er septembre 2016, les grands médias claironnaient l’investissement de 6 millions de dollars par l’entreprise de biotechnologie Phytimpact dans la région de Sept-Îles pour développer des produits dérivés du bleuet pour les marchés en effervescence du nutraceutique et du cosméceutique. Même si la petite bille bleue a atteint le point de mire du 50e parallèle, l’archer a tendu son arc de Saint-Anselme. Laurent Morin nous raconte l’incident qui a orienté sa visée entrepreneuriale vers Phytimpact.
Le couperet
Fils d’Émile Morin et de Pierrette Baillargeon, Laurent Morin a grandi et vit sur la terre ancestrale de ses parents dans le rang St-Philippe à Saint-Anselme. Il est la quatrième génération à occuper les lieux et cultive quelque 400 plants de bleuets en corymbe (bleuet géant). On peut s’y rendre pour faire de l’autocueillette, cependant c’est principalement sa mère et sa conjointe qui s’occupent de la récolte pendant qu’il assume la gestion de Stratégie B2B inc.
Diplômé en marketing à l’Université Laval en 1986, il conseille, depuis la fondation de son entreprise en 1994, les chefs d’entreprises afin de parfaire leur expérience en commercialisation et en développement ainsi que leur image sur le web. L’équipe de Stratégie B2B inc., composée de cinq personnes, accompagne des entreprises en aéronautique, dans le transport, les technologies ou autres domaines, et ce, aux quatre coins du Québec.
En 2013, Laurent Morin reçoit un diagnostic de diabète de type 2 et une ordonnance de petites pilules de synthèse chimique pour le reste de ses jours. Soucieux d’atténuer son problème métabolique avec des produits naturels, il fouille ici et là à la recherche d’une panacée. Il découvre que le bleuet a des propriétés intéressantes pour contrôler la glycémie, soit le taux de sucre dans le sang. Cela lui plaît d’emblée, car il possède déjà ce petit fruit à portée de main.
Une forte dose de persévérance
Il prend contact avec AgBiocentre de Lévis, un incubateur qui favorise des projets en démarrage. Il leur explique son idée et demande s’il y a quelque chose à faire avec les baies bleues de ses cultivars. Pour l’aider à se retrouver dans ce jargon scientifique, AgBiocentre lui propose une formation offerte à l’INAF.
Basé sur le boulevard Hochelaga à Sainte-Foy et en lien avec l’Université Laval, l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) est le plus important établissement de recherche canadien consacré à l’étude des aliments et de leurs composantes et de leur rôle dans les liens entre la nutrition, la santé et la prévention des maladies chroniques.
Il est accepté au sein d’une cohorte formée de onze spécialistes intéressés à démarrer des entreprises en biotechnologie. «Je suivais avec difficulté les présentations des chercheurs, tous des professionnels détenteurs de doctorats. J’étais le seul à œuvrer en marketing et, par conséquent, peu familier du jargon spécialisé. J’ai vraiment frappé un mur scientifique. J’avais mille raisons pour abandonner, mais le sujet des nutraceutiques et aliments fonctionnels m’intéressait grandement. Mon expertise en marketing m’a conforté à analyser ce qui se fait sur le marché international. Qui œuvre dans le domaine des nutraceutiques? Quelles sont les tendances? Comment se positionnent sur l’échiquier mondial les produits de santé naturels tels que vitamines, minéraux, herbes médicinales, suppléments?», révèle Laurent.
Il participe à de grandes expositions dédiées aux ingrédients actifs tenues en Californie, à New York, à Las Vegas ainsi qu’en Europe. Il découvre que ce marché est en pleine croissance. Les entreprises sont nombreuses à chercher des alternatives issues du monde végétal.
Malheureusement, il y a peu de produits pour traiter les troubles métaboliques tels que le diabète. Même s’il rencontre quelques distributeurs, il n’y a pas de fabricants de produits dérivés de la biomasse du bleuet, les fameux antioxydants. Tout est à faire.
En parallèle, il termine sa formation et fonde la compagnie Phytimpact. Il bénéficie d’un précieux mentorat pour évoluer dans son projet. Il est tout oreilles aux nombreux conseils tant dans le secteur financier, de la recherche et du développement.
Il embauche Cécile Bertin, titulaire d’un doctorat en physiologie des plantes et riche d’une solide expertise en gestion de projets scientifiques. L’objectif: identifier les bonnes molécules dans le bleuet. Très tôt, on constate que l’antioxydant, l’ingrédient actif, est davantage concentré dans le bleuet sauvage. Et pour l’extraire, il faut une grande quantité de matière première. «Ça me prenait du financement pour poursuivre la démarche. J’ai contacté plusieurs organismes qui offrent des programmes d’aide. Il existe beaucoup de ressources qui permettent d’innover et de développer au niveau scientifique. J’ai rencontré mes premiers partenaires chez CNRC. Le Conseil national de recherche Canada (CNRC) m’a fait confiance et supporté. On a investi dans un projet pour l’identification des bonnes molécules du bleuet.
Mon parcours était à l’opposé du cheminement habituel des chercheurs qui veulent ouvrir un marché. Moi, j’étais un gars en marketing avec un projet scientifique. L’équipe du CNRC considérait que je méritais un appui», indique Laurent.
Un courant de réciprocité
«Et là, il n’y a rien qui arrive pour rien. Le directeur d’AgBiocentre m’informe qu’un résidant de la Côte- Nord possède une bleuetière et souhaite faire des produits.
J’ai rencontré l’individu qui désirait vendre plutôt que de développer un marché. Comme il avait perdu une fille atteinte du cancer, deux ans auparavant, il voulait que sa terre serve à des projets de santé. Quelle synchronicité!
Ça aussi, c’est un élément qui compte en entrepreneuriat. Il faut oser, investir les efforts nécessaires, faire confiance, lâcher prise. Et le mouvement provoque des résultats inattendus! Même si les événements semblent négatifs, ils engendrent des défis qui ouvrent sur des solutions insoupçonnées. Il importe d’accueillir toutes les réactions parce que ce sont des portes ouvertes sur les occasions opportunes. L’intuition est une arme secrète, un phare qui nous dirige vers les buts à atteindre.» «Lorsque les intervenants économiques de Sept-Îles ont appris que je voulais investir dans la région, ils m’ont approché. On s’est vite entendu et j’ai acheté avec deux partenaires une bleuetière de 220 hectares en 2015. Non seulement Bleuetière du Golfe assure mon approvisionnement en matière première, sa localisation dans le 50eparallèle lui confère un produit de pureté au sein de grands espaces. Sur la Côte-Nord, l’agriculture est émergente depuis peu d’années. Le réchauffement climatique prolonge la saison. Il y a de belles terres. Maintenant que nous avons la biomasse, il nous faut une usine d’extraction», raconte avec ferveur le propriétaire de Phytimpact.
Les ingrédients actifs
Tout au long du processus d’implantation de Phytimpact, Laurent Morin côtoie d’excellents mentors qui lui permettent d’éviter certains écueils. Pour consolider sa recherche de financement, Laurent comprend très tôt la nécessité de créer des alliances et surtout de l’importance de s’entourer des bonnes personnes.
Pour combler sa méconnaissance scientifique, Laurent s’allie à un comité d’experts formé de chercheurs universitaires du Québec et d’ailleurs. Même une communauté autochtone s’intéresse au projet. «Phytimpact développe un produit relié au syndrome métabolique, dont le diabète qui frappe durement les communautés amérindiennes. Elles y voient un intérêt social et économique. J’avais sous-estimé cet effet d’entraînement.
C’est tout un écosystème que l’on est en train de créer en ralliant producteurs et transformateurs qui partagent la même vision de développement de la Côte-Nord. On innove autant dans le produit, les procédés technologiques que les méthodes de culture biologique du bleuet. On a réuni des gens d’horizons différents qui provoquent des choses innovantes», explique Laurent.
Stratégies de développement
Pytimpact évolue à partir de deux pôles soit à Lévis où se situent les bureaux et laboratoires et à la Bleuetière du Golfe à Moisie où elle cultive du bleuet sur une superficie de 220 hectares générant ainsi quelque 500 000 kg de biomasse. Trois autres phases de développement sont prévues pour atteindre 700 hectares en culture d’ici cinq ans. Ceci permettra une sécurité en approvisionnement et une stabilité de la qualité des produits, vecteurs très importants dans le positionnement de l’entreprise.
On prévoit créer 30 emplois sur la Côte-Nord. Phytimpact déploie une stratégie de développement à court et à moyen terme. «Je magasine présentement des équipements de séchage spécialisés pour notre nouvelle usine d’extraction afin de faire une poudre de qualité à haute valeur ajoutée pour le marché des suppléments alimentaires et du marché nutraceutique. L’usine sera opérationnelle à l’automne 2017. Les essais cliniques aux fins de réglementation sont prévus au printemps 2018. Une entente de collaboration avec un partenaire de distribution sur les marchés américain et asiatique a été signée afin de fournir des poudres provenant du bleuet principalement.
L’ouverture sur le monde
Laurent Morin est conscient d’avoir été un initiateur qui provoque des changements. Son expertise corrobore son intuition. «Il est beaucoup plus difficile de lancer une entreprise lorsqu’il y a de très gros joueurs sur l’échiquier. Ils peuvent t’avaler d’une seule bouchée. Tu es mieux d’opter pour un créneau où existent des compétiteurs de ton calibre. C’est plus facile de prendre sa place. Une analyse des marchés permet de voir ton positionnement», ajoute Laurent.
Déjà, des dates sont bloquées à son agenda 2017 afin de participer à de grandes expositions. Il prévoit être en Californie en mars, à Genève en mai, au Japon en octobre et à Las Vegas en novembre. Heureusement, il maîtrise bien l’anglais. Il a même entrepris des cours en espagnol. «La maîtrise de l’anglais est un atout majeur pour tout entrepreneur. Je répète aux jeunes la nécessité d’apprendre une langue seconde sur les bancs de l’école. Parler deux, trois langues devient indispensable avec l’économie globale que l’on connaît», insiste l’homme d’affaires.
L’effet papillon
Si Laurent Morin consent à livrer son expérience en entrevue, c’est d’abord et avant tout pour encourager les personnes qui souhaitent tenter l’aventure entrepreneuriale. Oser est le mot d’ordre. De plus en plus d’individus désirent apporter des solutions, des occasions opportunes au monde. Pour ce faire, ils doivent se servir de leur instinct pour saisir les possibilités qui les attendent déjà. Chaque entreprise devient un stimulus pour l’économie. Ce n’est pas tant la destination que le chemin à parcourir qui prévaut. Et Laurent Morin peut nommer les ingrédients essentiels qui conduisent la passion soutenue par des objectifs précis vers la mission de l’entreprise.
Tolérance aux risques
«Il faut une forte dose d’audace, de courage et surtout, une grande tolérance aux risques pour te lancer. Avant même que tu fasses tes preuves, montres des produits, tu dois investir beaucoup de temps, d’énergie et d’argent.
Pour ma part, Stratégie B2B m’a permis d’entreprendre le projet. Vouloir prendre des risques fait partie du profil entrepreneurial. Il faut être capable de dormir avec cet inconfort, et ce, durant une période de temps plus ou moins longue. L’abondance est omniprésente. On est bien appuyé au Québec pour le développement scientifique et l’innovation. Il y a de la place pour les petites et moyennes entreprises, capables de sortir des sentiers battus», précise-t-il.
La force de l’équipe «Phytimpact et Bleuetière du Golfe existent grâce à l’équipe composée d’experts de tous horizons qui partagent le meilleur de leurs connaissances et de leurs compétences pour l’avancement du projet. On n’en aura jamais assez de ces personnes d’expérience!»
Persévérance et confiance
«Il importe tout le long du processus de donner de la crédibilité au projet. Nous avons un produit innovant, l’approvisionnement nécessaire en biomasse pour alimenter un marché en émergence, une équipe multidisciplinaire qui questionne l’évolution de l’entreprise, des infrastructures adéquates, un marché ouvert à l’international.
Reste à persévérer. Les obstacles apportent de nombreuses options pour continuer, opérer des changements, faire bouger les choses. Nous devons persévérer parce que finalement nous serons récompensés d’être demeurés fidèles à nos convictions. Quand je regarde mes premières influences entrepreneuriales, je revois ma grand-mère Irène Baillargeon dans son magasin de tissus au village de Saint-Anselme. Et Pierrette, ma mère, qui l’accompagnait me disait souvent: «Si tu veux, tu peux!», raconte-t-il de son enfance.
La valeur ajoutée
On sent chez Laurent Morin le plaisir de cheminer, d’apprendre, de fournir des moyens pour agir. Il revient à maintes reprises sur ses mots. S’améliorer. Se réinventer. Apprivoiser le pouvoir de la curiosité. La curiosité de créer, de découvrir, d’inventer de nouvelles façons d’être, devoir, de servir. Parce qu’il est amusant, excitant, gratifiant de progresser. L’idée d’avoir un plus grand impact positif suffit à faire passer à la vitesse supérieure. Voilà pourquoi il faut oser, guidé par l’intuition qui s’épanouit dans la confiance en nous et nos convictions. Le chemin vers le succès se trace d’un instant à l’autre. Dans nos vies personnelles, dans nos entreprises, à la maison, dans nos relations, nos familles… nous devons faire preuve d’ouverture, de bonne volonté et d’écoute. Si nous le faisons, de bonnes choses se produiront. L’évolution se fera. Cependant, nous devons partir de la foi et non de la peur. Aux confins de son âme, Laurent Morin entretient cette confiance en la providence qui déplace les montagnes, ou du moins 500 000 kilogrammes de biomasse. Et malgré son problème métabolique, il possède beaucoup d’énergie pour oser, aller de l’avant, se dépasser. Les bonnes molécules du bleuet semblent déjà lui faire un bien incommensurable.