Cinéma au féminin au Bas-Saint-Laurent

Valérie Mongrain, Le Mouton NOIR, Rimouski, mars-avril 2017

Pratiquer le métier de cinéaste en région éloignée est en soi un acte de résistance, alors que la majorité des subventions gouvernementales sont accordées à des maisons de production situées dans un rayon de 50 km du métro Mont-Royal. Pourtant, de nombreux cinéastes décident de pratiquer leur art au Bas-Saint-Laurent et de l’ancrer dans le territoire et la réalité régionale. Mais qu’en est-il des femmes cinéastes au Bas-Saint-Laurent?

 

La lutte au financement

Plusieurs se battent d’abord pour relever les défis du financement du cinéma en région et, en plus, pour la représentativité des femmes dans un métier dominé par les hommes. En fait, un peu moins de 20 % des subventions sont accordées à des réalisatrices.

Ces conditions exigent des femmes qu’elles soient proactives, battantes, visionnaires et qu’elles fourmillent d’idées et de projets. Je pense notamment à Viveka Melki, documentariste anglophone en minorité sur le territoire du Bas-Saint-Laurent, remarquée en 2015 avec son premier long métrage documentaire After Circus, présenté en compétition aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal et dans plusieurs festivals internationaux. Elle travaille actuellement à la postproduction du documentaire Carricks, qui porte sur le naufrage de ce navire irlandais sur les côtes gaspésiennes en 1847.

Au Bas-Saint-Laurent, elles sont plusieurs à continuer à faire du cinéma au gré des enveloppes culturelles régionales, des programmes de résidences ou des projets développés par Paralœil ou par les producteurs privés régionaux. La plupart resteront ici parce que l’attachement à la région, à ses grands espaces et à son horizon large et coloré nourrit leur pratique.

En documentaire, en fiction, en arts médiatiques et en art vidéo, Françoise Dugré, Brigitte Lacasse, Viveka Melki, Anna Woch, Geneviève Bélanger-Genest, pour ne nommer que celles-ci, continuent à développer des projets de films et à enrichir la cinématographie nationale d’œuvres sensibles, faites par des cinéastes femmes occupant le territoire. Si Geneviève Bélanger-Genest a dû s’exiler vers les grands centres pour travailler sur des productions professionnelles et vivre du cinéma, elle continue à développer des projets régionaux comme son installation vidéo Canot, en cours de production, tournée sur la banquise rimouskoise.

Heureusement, grâce aux revendications des Réalisatrices équitables, les bailleurs de fonds commencent à se pencher sur le sous-financement des femmes cinéastes. D’ailleurs, le 20 février dernier, Monique Simard de la Société de développement des entreprises culturelles a annoncé un plan d’action pour atteindre la parité des genres d’ici 2020 dans le financement que la SODEC accorde au cinéma. Cette mesure aidera certainement à combattre la discrimination systémique subie par les femmes dans le milieu cinématographique.

 

Le défi de la diffusion

Après le défi du financement de leurs productions, les réalisatrices régionales doivent également faire face à la difficulté de trouver du temps-écran pour diffuser leurs films. On a d’ailleurs reproché aux festivals montréalais de ne pas faire suffisamment de place dans leurs programmations aux films de femmes cinéastes. Ce à quoi le cinéma Paralœil a réagi en programmant durant quatre semaines huit films de femmes présentant leurs points de vue sur les femmes et sur le monde.

Dans un spectre plus large, on doit également souligner l’apport passionné et acharné de toutes les femmes travailleuses culturelles bas-laurentiennes, qui acceptent de travailler dans des conditions difficiles et précaires, mais qui font toute la vitalité de la culture au Bas-Saint-Laurent. Si celles-ci occupent la plus grande partie du marché du travail dans le domaine culturel, nous devons nous interroger sur le financement de ce secteur économique, puisque nous sommes loin de l’équité salariale si on prend en considération les salaires peu élevés de ce secteur sous-financé. En fait, si ce milieu est dominé par des femmes, c’est peut-être parce que les hommes n’accepteraient pas de telles conditions salariales. Pour avancer, il est essentiel de se pencher avec les gouvernements sur cette question économique.

Les femmes rendent la culture régionale vivante et elles persistent à présenter un regard différent et sensible à travers leurs œuvres, célébrons-les!

Paraloeil a choisi de consacrer le mois de mars aux réalisatrices. Le public pourra donc voir huit documentaires et fictions créés par des femmes, dont Carricks de Viveka Melki présenté gratuitement le 18 mars à 18 h 30.