Témoignage d’un ex-radicalisé «J’en voulais à tout le monde»

Alexandra Guellil, L’Itinéraire, Montréal, le 15 février 2017

Maxime Fiset est l’ancien dirigeant de la Fédération des Québécois de Souche (FQS), un groupuscule qui s’identifie comme « un réseau d’hommes et de femmes, Québécois de souche, partisans du principe de l’union sacrée entre une terre et son peuple», Les adhérents se disent nationalistes et prônent des valeurs semblables à celles portées par certains mouvements d’extrême droite, aux idéologies protectionnistes et nationalistes. En entrevue téléphonique, il se confie, parfois avec beaucoup d’émotions, sur son histoire d’ex-radicalisé.

Photo : Maxime Fiset, courtoisie.

À quel moment avez-vous décidé de fonder la FQS?

Dans mes souvenirs, je devais avoir 18 ans et je travaillais pour la Ville de Québec. Je m’identifiais à des valeurs plutôt nationalistes et je ne trouvais pas d’organisations qui me plaisaient Mes idées étaient trop radicales. C’est pour cela que j’ai décidé de fonder mon organisation dont le but était officiellement de fédérer tous les Québécois de souche. Mon objectif caché était surtout de fédérer toutes les personnes d’extrême droite pour en faire un mouvement de masse.

 

Comment en êtes-vous arrivé à créer un tel groupuscule?

À l’époque, j’étais vraiment marginal. Je fréquentais beaucoup de skinheads néonazis et je m’identifiais même à cette idéologie. Je voulais créer une organisation qui répondait à cette vision, mais ce n’était pas politiquement correct, je voulais vraiment m’impliquer politiquement, unir la communauté skinhead de la province. Au début, je préconisais des liens avec certains d’entre eux avant d’être arrêté pour incitation à la haine.

 

Étiez-vous en accord avec toutes les idées portées par ces groupes?

Je m’identifiais aux valeurs portées par l’extrême droite. J’imagine qua cette époque, j’avais peur de certaines transformations que vivait la société. On s’entend que 2005, 2006, 2007 étaient des années assez charnières, pour toutes les questions liées aux accommodements raisonnables. Il y avait déjà une certaine tension sur ce qui concernait l’immigration au Québec et en Europe.

 

Où vous informiez-vous pour nourrir toutes ces idées?

Je ne m’en souviens pas exactement, je lisais un peu le journal et j’écoutais les nouvelles comme tout le monde, mais je prenais aussi bon nombre de mes informations sur des forums racistes en ligne ou lors de discussions avec des groupes skinheads. J’étais rendu à voir la nouvelle sous un angle assez particulier quel qu’il soit. Puis, naturellement, il y a une sorte de « picorage » qui se fait sur ces forums-là, où une attention particulière est accordée aux nouvelles qui confirment notre point de vue, sans jamais donner trop d’attention à celles qui l’infirment. Donc je m’informais, oui, mais pas de la bonne façon.

 

À cette époque, vous travailliez à la Ville de Québec. Utilisiez-vous votre temps de travail pour diffuser vos idées?

Oui, j’ai été renvoyé pour cela. C’est aussi dans le contexte de mon travail que j’ai rencontré des skinheads, j’étais surveillant de par cet une nuit, j’ai fait la connaissance d’une bande de jeunes skinheads dont j’ignorais tout. En voulant leur demander de partir, j’ai engagé la discussion. Au fil des mots, je les trouvais plutôt sympathiques. On a commencé à échanger et discuter de différents sujets de société. C’est aussi vers cette même période que je me suis inscrit sur Stormfront, un site nationaliste bien connu et basé aux États-Unis. Cela m’a permis de mettre des mots sur mes pensées et ressentis, et ce n’était pas très joli d’ailleurs. Environ deux années après. on a remarqué que je faisais de la propagande haineuse sur mon lieu de travail. Il n’en a pas fallu plus pour que je sois renvoyé (…), ce qui était probablement la meilleure décision de la part de la Ville.

 

Le fait de vous faire renvoyer pour vos idées vous a-t-il heurté?

Ça m’a fait mal c’est vrai, mais j’avais déjà un autre travail. J’ai juste appelé mon supérieur en lui demandant plus d’heures et cela m’a permis de me revirer de bord assez rapidement. Même si j’aimais beaucoup mon travail à la Ville de Québec, il faut comprendre que lorsqu’on est radicalisé et qu’un tel événement nous arrive, on ne se remet pas en question pour autant. Cela vient juste nous confirmer que nous sommes victimes d’une sorte de conspiration et que nos idées sont vraies parce que le monde s’y oppose. Il faut comprendre que l’on est dans un cercle vraiment aliénant. Après mon renvoi, je me suis plus impliqué plus dans la FQS.

Concrètement, quelles étaient vos activités pour la FOS?

À l’origine, c’était plus un forum ou I’on commençait à mettre les bases d’une réelle organisation. L’objectif était vraiment de fédérer les groupes nationalistes et ultranationalistes au Québec sans nécessairement assurer une présence politique, tout au moins au début. On pensait plus se diriger plus vers un groupe de pression ou un lobby. C’était un mouvement naissant qui avait pour but de fédérer et de trouver un message plus cohérent à véhiculer. La FQS était aussi une vitrine parce qu’on a été parmi les premiers à réaliser à quel point internet était un outil formidable pour nous aider à propager notre message.

 

Comment se passaient vos relations en dehors de la fédération, avec votre famille et vos amis?

À cette époque, je ne disais pas ce que je faisais ouvertement. Il faut comprendre qu’une grande partie des personnes radicalisées à l’extrême droite vont dissimuler la profondeur de leurs idées ainsi que leurs implications à leurs proches. Quand ma mère m’a demandé pourquoi j’avais un drapeau nazi dans ma chambre, je lui ai répondu simplement que je m’intéressais beaucoup à l’histoire, jamais je n’aurais dit à ma famille à quel point mes idées étaient haineuses et aliénées. On réservait cela, autant que possible, aux personnes déjà initiées.

 

Y a-t-il eu des actes violents commis au nom de ces idées?

Oui il y en a eu quelques-uns, mais je n’y ai pas participé. Il  s’agissait de plusieurs batailles dans les bars le soir ou pendant la Saint-Jean-Baptiste. Souvent, ces actes étaient commis contre des antifascistes. Aussi, même si je n’en ai jamais eu la preuve réelle, je suis convaincu qu’il y a eu d’autres groupes d’extrême droite assez connus à Québec, et qui existent toujours d’ailleurs, qui ont commis des attaques violentes envers des personnes homosexuelles dans le Vieux-Québec.

 

Y a-t-il eu des actes violents commis par des membres de la FQS?

À ma connaissance, non. La Fédération en tant que groupe n’a jamais pris part à des actes violents, En général, les groupes d’extrême droite gardent toujours bonne presse bien que les individus qui les composent se réservent le droit de commettre toutes sortes d’actions jusqu’à parfois être impliqués dans des attaques sanglantes et racistes.

 

À quel moment avez-vous entamé ce travail de déradicalisation ?

Je dois avouer qu’il n’y a pas de moment précis. Quand j’ai été arrêté pour propagande haineuse, je me suis ramassé sans job, sans école, isolé et pauvre, j’étais très dépressif et c’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai considéré l’option d’un attentat terroriste pour me suicider et tuer le plus de monde possible en même temps. Quand je me suis entendu penser à cela, je me suis désengagé en décidant que la violence n’était pas une option. J’ai continué à appuyer le mouvement même si je n’étais plus à la tête de la FQS. En 2012, après le printemps érable, ma blonde est tombée enceinte d’une fille. Quand j’ai réalisé que mes camarades d’extrême droite étaient contre le mouvement étudiant, j’ai aussi réalisé qu’ils étaient dans le fond contre l’éducation.

Petit à petit, je me suis séparé d’eux, le temps de me questionner sur ce qui était réellement en train de se passer dans ma vie. C’est sans doute con, mais j’ai juste décidé que je souhaitais être humaniste jusqu’à officiellement tourner le dos à tout cela en claquant définitivement la porte en 2015.

 

Quelle a été leur réaction?

Ils ne me parlent plus et je ne leur parle plus, puis c’est bien correct comme cela, je dois avouer que cela ne m’intéresse pas de leur parler à nouveau. Depuis le temps, ils devraient être conscients que ce qu’ils disent sur la scène publique est inacceptable. je n’irai pas essayer de converser avec eux parce que s’ils souhaitent se déradicaliser, il faut que cela vienne d’eux. Vous savez, j’ai reçu quelques messages haineux au moment où j’ai commencé à parler aux médias au mois de novembre dernier. Si je connais assez les individus et qu’ils ne me font pas réellement peur, je reste tout de même prudent.

 

On accuse volontiers les personnes qui rejoignent ces groupes d’extrême droite d’être racistes, homophobes, etc. Le sont-elles réellement?

C’est une question extrêmement complexe. Il faut savoir qu’à la base, tout commence par une sorte de désillusion quant au système politique qui va alimenter tout ce qui peut faire office de contre-discours. On a accès à internet, qui est un nouveau média sans balises, Et, pour beaucoup, cela va faciliter la propagation de discours qui ne sont pas encore haineux bien qu’ils soient basés sur une espèce de désinformation, de méconnaissance de l’autre et de la peur de l’inconnu. La plupart de ces personnes sont sincères dans leurs inquiétudes et ne sont pas toujours racistes. Le problème c’est qu’elles sont instrumentalisées par d’autres personnes qui donnent écho à leurs peurs. En général, elles cherchent des réponses et ne sont pas équipées pour faire le tri dans l’amas d’informations qu’elles reçoivent de part et d’autre. Cela ne signifie pas qu’il n’yen a pas qui sont profondément racistes, homophobes ou autres: c’est juste qu’elles ne sont pas, à mon sens, majoritaires,

 

Pourquoi avoir voulu parler aux médias de votre parcours à visage découvert malgré les risques?

Le déclic s’est fait suite à mon invitation à la conférence de l’Unesco sur la radicalisation et les jeunes qui s’est tenue à Québec à la fin de l’année dernière. Je voulais témoigner à visage découvert parce que je considérais que mon message aurait beaucoup moins de portée si je l’avais fait de manière anonyme, Anyway, cela ce serait su alors je me suis dit que s’il y avait une chance pour que je corrige les erreurs que j’ai faites, autant que ce soit en mon nom propre. Et ce, même si cela me coûte beaucoup d’efforts, du temps, de l’énergie, quelques menaces par-ci ou par-là, Je trouve que cela en vaut tout de même la peine parce que c’est l’occasion de me racheter (…), de racheter mon nom et ma réputation.

 

Quand vous parlez aujourd’hui à votre famille et à vos proches de cette étape de votre vie, que leur dites-vous?

Sincèrement, j’essaye de ne pas trop en parler dans ma vie de tous les jours. Ce n’est pas un sujet avec lequel je suis très confortable que de savoir que j’ai déjà été aussi aliéné, aussi radical et sur le bord de commettre quelque chose de vraiment terrible. Au début, quand je parlais de mon expérience, j’avais l’impression que cela ne me coûtait rien, Mais plus j’en parle, plus je réalise que cela me fait quelque chose. C’est la raison pour laquelle j’essaye de garder le sujet aussi loin possible des conversations.

Que diriez-vous à une personne qui se rend compte de son aliénation?

Si elle s’est rendu compte jusqu’où ses idées peuvent aller, il y a deux solutions. La première est de les suivre et elle risque de se mettre vraiment dans la merde. La seconde est de se désengager et se déradicaliser, mais cela lui appartient. Ce que je lui suggère avant tout, c’est de passer au peigne fin l’argumentaire des sophistes. Peut-être qu’elle réalisera la teneur de leurs propos et à quel point elle peut se baser sur cette idéologie. Par la suite, je lui conseillerais de consulter le Centre de prévention de la radicalisation menant à ta violence ou elle pourra s’entretenir avec un intervenant outillé à ce sujet.