Raymond Bernatchez, Montbeillard en bref, Montbeillard, janvier 2017
Dans toute l’Abitibi-Témiscamingue, le nom de Gilberte Dion est intimement lié à une réussite commerciale : la création, en 1986, de la Chèvrerie-Dion, et ce à partir d’une seule chèvre, sans moyens financiers.
Gilberte Pelchat épouse Réal Dion en 1966. Quatre ans plus tard, il lui suggère d’acquérir ensemble une terre avec bâtiments à Montbeillard, fusionnée depuis à Rouyn-Noranda. Son épouse lui impose alors une condition : que l’emplacement borde un grand chemin public facilitant l’accès aux services médicaux, si besoin est. Bien pensé, cinq enfants vont y naître : Lyne, Alain, les jumeaux Daniel et Michel, suivis de Manon la petite dernière, soit sept personnes à table. Les sept devaient communément consommer deux gallons de lait chaque jour. Ne produisant pas de lait à leur ferme, les Dion en achètent d’un voisin. Jusqu’à ce qu’il cesse la traite. Possédant sa propre terre, le jeune couple ne devrait- il pas se doter de sa propre vache? Gilberte s’y oppose ayant été ruée et malmenée déjà par des vaches laitières à la ferme paternelle.
Réflexion faite, ils vont plutôt se doter d’une chèvre. Une chèvre, ça donne du lait non? La première est accueillie en 1982. Les enfants aiment à la fois la chèvre et son lait. Tout va pour le mieux. Avec le lait de la chèvre, on peut obtenir du fromage sauf erreur. Oui, si on sait s’y prendre…
À force de s’informer ici et là, cette mère de famille devient suffisamment habile pour obtenir en 1986 un permis de production fromagère. La Chèvrerie Dion prend corps. Sa curiosité étant insatiable, c’est à l’école d’agriculture de St- Hyacinthe que nous la retrouvons. Un de ses professeurs, prénommé Ali, effectue, pour le compte du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, des tournées régionales de perfectionnement.
Quand viendra-t-il en Abitibi? Sous peu, dit-il, tout en s’engageant à visiter la ferme des Dion à cette occasion. Cet apport est d’une immense valeur pour l’avènement de la Chèvrerie Dion. Ali n’a jamais refusé de leur venir en aide par téléphone dès qu’un problème insurmontable pour eux surgissait.
Puisque les parents, amis et voisins apprécient ce qu’elle fait, pourquoi ne rentabiliserait-elle pas son savoir? Notre fonceuse passe aux commandes de la commercialisation, en bénéficiant de l’aide de Réal et des enfants pour la production à la chèvrerie. Pour faire connaître ses produits dans toute sa région, elle doit, malgré sa grande timidité, organiser des séances de dégustations publiques. Pas le choix, les gens ne connaissant du fromage que celui généralement issu industriellement du lait de vache. Que faire d’autre sans l’apport de la publicité?
Les séances de dégustation individuelles finissent par porter fruit. Étape suivante, le diffuser chez les dépanneurs, les petits épiciers puis, ultérieurement, sur les tablettes des grands marchés d’alimentations de toute sa vaste région. Ça fonctionne, des portes lui sont progressivement ouvertes. Notre toquée a sûrement un don particulier de même qu’une santé de fer. Non satisfaite d’en faire la promotion, cette bombe d’énergie assume la livraison aux acquéreurs au volant de son propre véhicule, et ce partout. Ne pas omettre deux tâches additionnelles : la participation à la production avec les siens à la chèvrerie, de même que les échanges plus ou moins fréquents avec les fonctionnaires assurant la bonne qualité de la marchandise.
À force d’acharnement, les délices de la Chèvrerie Dion ont ensuite conquis plusieurs grandes villes du Québec, incluant Montréal où deux grands marchés spécialisés les proposaient aux gourmets.
En 2009-2010, Gilberte Pelchat-Dion met un terme à l’aventure en vendant son cheptel de 60 chèvres, sans compter les chevrettes, à un jeune producteur abitibien. Son état de santé ne lui permettait plus de s’impliquer autant qu’avant. Parallèlement, le gouvernement du Québec subventionnait de moins en moins les efforts des PME de la fromagerie et de plus en plus les gros joueurs. Le cœur n’y était plus. D’une amabilité rare, d’une simplicité et d’une lucidité confondante sur tout, elle vit agréablement sa vie de retraitée dans son propre milieu en participant aux activités du Cercle des Fermières de Montbeillard tout en présidant bénévolement, depuis 10 ans, le Club local de l’âge d’or, rebaptisé ici, l’Âge joyeux. Ses enfants, ses petits-enfants de même que les amis étant le fromage de sa vie, elle sait déguster chaque moment de présence en leurs compagnies. Le temps ne compte pas pour elle lorsque la famille et l’amitié sont en causes.