Charles Goulet

Charles Goulet au cœur de la matière vivante

Normand Gagnon, Autour de l’île, Île d’Orléans, janvier 2017

Les déceptions ne sont pas rares quand vient le temps de croquer une tomate. L’attrait visuel, perfection de la forme, couleur vive et uniforme, s’efface en effet souvent devant un goût qui n’est pas à la hauteur de l’apparence. La contrariété se transforme même parfois en ce sentiment d’avoir été trompé. Charles Goulet, un jeune chercheur de chez nous − il habite à Saint-Jean − s’est attaqué à ce défi de rendre à ce fruit si répandu et si polyvalent la saveur caractéristique que l’on retrouve parfois encore dans des variétés moins commerciales. Une recherche qui apparaît d’autant plus pertinente que la production de la tomate génère plus d’un demi-milliard de dollars de ventes à la ferme annuellement et figure au premier rang pour la production en tonnes métriques parmi les légumes ; de plus, c’est le plus important produit d’exportation parmi les légumes frais au Canada1.

 

Une aide financière exceptionnelle

Le 11 juillet dernier, Génome Canada2, un organisme ayant pour mandat de soutenir la recherche appliquée en génomique, annonçait l’attribution d’un financement important à Charles Goulet, professeur-chercheur au département de phytologie de l’Université Laval, pour son projet Une boîte à outils génétiques pour la différenciation des saveurs de tomates. Une aide financière qui n’est pas sans souligner la valeur du projet et de son promoteur. Il faut savoir en effet que l’organisme subventionne chaque année un nombre relativement restreint de projets et que leur sélection est réalisée par un comité international de spécialistes sur la base de critères rigoureux.

 

Corréler arome et gènes spécifiques, pas une mince affaire

Toujours est-il que le professeur Goulet, entouré d’une équipe de professionnels de recherche, d’étudiants gradués et de stagiaires de premier cycle, s’affaire actuellement à une recherche fondamentale visant à établir la corrélation la plus fine possible entre la présence de gènes spécifiques sur le génome de certaines variétés de tomates et les caractéristiques organoleptiques du fruit, particulièrement l’arôme et la flaveur  En d’autres termes, quels sont les gènes dont la présence est essentielle à l’apparition de composés volatils associés aux parfums de fruits, d’épices et de verdure que l’on associe généralement à la tomate? Pour comprendre la démarche du chercheur, il nous faut savoir que les substances aromatiques libérées par les fruits, les légumes, les herbes, etc., sont le résultat de transformations au sein de ces organismes qui requièrent la présence d’enzymes, des catalyseurs dont le programme de fabrication se retrouve au sein du noyau des cellules sous la forme de gènes, eux-mêmes des portions de chromosome.

Ceci étant, le travail visant à établir le lien gène-arôme n’est ni simple ni direct. Charles nous explique qu’il faut d’abord produire plusieurs dizaines de lignées de tomates en croisant la tomate traditionnelle (S. lycopersicum) avec des espèces sauvages apparentées (S. lycopersicoïdes), procéder pour chacune à l’identification du profil aromatique (phénotypage) et établir dans un premier temps l’emplacement physique grossier (locus), sur le chromosome associé aux composés volatils responsables de ces arômes ; emplacement qu’il faudra par la suite affiner en identifiant plus précisément le(s) gène(s) responsable(s). Pour y arriver, il faudra produire de nouvelles lignées en croisant cette fois-ci le parent tomate avec les lignées déjà obtenues ; ces «recombinants» seront cette fois génotypés, c’est-à-dire que l’on déterminera justement les gènes associés en utilisant les données génomiques disponibles pour la tomate et les espèces sauvages utilisées.

 

Une recherche qui étend ses ramifications jusqu’à la structure moléculaire des enzymes impliquées

Un cycle complet de ces étapes peut nécessiter plusieurs années de travail. Et ça ne s’arrête pas là. Il faut confirmer par la suite la réelle activité des gènes identifiés en supprimant leur expression grâce à l’usage de plants transgéniques, puis pousser plus loin encore l’analyse en caractérisant directement les enzymes à l’origine de l’apparition de tel ou tel composé volatil, par exemple l’isobutylthiazole responsable de l’arôme typique de la tomate. Quel est donc l’avantage qu’apportent les outils modernes de la génomique par rapport aux méthodes classiques où il nous faut croiser un nombre considérable de plants sur plusieurs générations? Les méthodes exposées plus haut nous permettent, nous dira le chercheur, de sauver un temps considérable, car l’utilisation de la génétique permet de choisir, lors des croisements, un parent dont on sait qu’il possède la bonne version du(des) gène(s) (allèle) et de l’utiliser dès les premières générations. Le projet subventionné par Génone Canada vise effectivement à sélectionner parmi une vaste population de lignées3 des variants prometteurs qui seront ensuite caractérisés grâce aux méthodes exposées précédemment.

 

Un chercheur entièrement mobilisé par sa recherche

Quand on demande à Charles Goulet ce qui l’occupe en dehors de son travail, il répond qu’il travaille de 7 à 7 et qu’il lui reste bien peu de temps pour autre chose. On peut le comprendre. Plonger comme il le fait au cœur de la matière vivante et en même temps faire œuvre utile, n’est-ce pas là le Graal de tout chercheur passionné?

 

1 Données fournies par Charles Goulet.

2 Génome Canada est un organisme sans but lucratif financé par le gouvernement du Canada qui soutient les contributions de la génomique à l’économie canadienne par le financement de projets visant à résoudre des difficultés et à répondre à des besoins spécifiques de l’industrie, du secteur public et de la société en général.

3 Certaines constituées de cultivars aux profils aromatiques variés provenant du laboratoire de l’université, d’autres de l’entreprise collaboratrice Vineland qui fournira, elle, des lignées avec des mutations induites.