Une nuit à Terrebonne

Adam, camelot de Terrebonne, L’itinéraire, Montréal, le 1er janvier 2017

J’ai suivi pendant une nuit un intervenant de rue à Terrebonne, afin de mieux comprendre son métier et la mission de son organisme, Le Trajet. Nous avons rencontré une jeune femme en détresse, puis un itinérant, qui nous ont partagé leur vécu.

26 octobre, 18 h 40. Je viens d’arriver au terminus de bus de Terrebonne. J’ai rendez-vous avec un intervenant de nuit qui travaille pour l’organisme Le Trajet. F-X. arrive à 19 h au volant d’une petite voiture rouge, et me salue. Nous nous présentons l’un à l’autre, nous sommes un peu nerveux car c’est une première expérience pour nous : je n’ai jamais réalisé un tel reportage, il n’a jamais été accompagné dans son travail par un participant-rédacteur.

F.-X. m’apprend que nous aurons une première intervention autour de 20 h avec une jeune femme, dans un Tim Hortons du coin. En aucun cas je ne devrai me servir de mon appareil photo ou de mon enregistreuse, afin de respecter l’anonymat de la jeune femme, qui est encore mineure pour quelques jours. Arrivés au point de rendez-vous, F.-X. me présente à la jeune dame. Ma présence ne la dérange pas : « Vous pouvez assister à notre discussion, dit-elle, mais sans appareils numériques s’il vous plaît». On entre dans le commerce, on se commande un bon café chaud et on s’installe a une table au bord de ta fenêtre. Leur discussion commence.

 

Une jeune fille qui repart avec le sourire …

La jeune fille souffre de dépendance alimentaire, elle a subi une intervention chirurgicale pour se faire brocher l’estomac, mais ne respecte pas les consignes des médecins à 100 %. Une de ses meilleures copines s’est suicidée cinq mois auparavant. Elle vit avec le stress de décevoir ses parents qui ont payé son opération et qui se sont privés pour prendre soin d’elle. Les frais d’une diététiste, suivi de guérison, l’impact de son alimentation suite à la chirurgie, la perte de son amie et le fait qu’elle-même ne s’aime pas et qu’elle ne se sent pas bien dans sa peau… Autant d’éléments qui font que la jeune femme a développé une anxiété chronique : elle a des pensées suicidaires et avoue avoir peur de passer à l’acte. F.-X. prend le temps de l’écouter, de la conseiller, à l’image d’un grand frère. Petit à petit, la jeune femme se détend et retrouve le sourire. Elle assure F.-X. qu’elle continuera de communiquer avec lui. La discussion s’achève après une heure. Nous quittons le Tim  Hortons vers 21 h et reprenons chacun notre route. Une autre rencontre nous attend, avec un itinérant cette fois. Ce sans-abri de longue date est bien connu des autorités et des employés de la Ville de Terrebonne, qui le laissent squatter l’endroit car ils savent que M. Do – nom fictif bien évidemment – ne se laisse pas traîner et nettoie régulièrement l’endroit qu’il occupe, A notre arrivée, je me présente à M. Do. Je lui demande si je peux enregistrer l’intervention. « Oui, oui, pas de problème», me répond-il. II me présente un de ses copains qu’il n’avait pas vu depuis deux ans. « Je te présente Bob, mon chum, ça fait longtemps qu’on s’est pas vu et il a décidé de venir me voir ce soir. Quand il veut me voir, il sait où me trouver car il connaît mon adresse! », dit-il en faisant référence à l’endroit où nous sommes, un parc du Vieux-Terrebonne situé juste au bord de l’eau. «Ça fait sept ans que je vis dehors mais ça fait trois ans que je vis ici, sur mon banc. Même à -20°C ou -30°C, tu vas me trouver ici », explique-t-il tout en s’asseyant sur le banc comme s’il avait été conçu pour lui,

 

… Un itinérant qui lutte contre la solitude

Pour cet homme, l’itinérance est maintenant une chose normale. Il pense que vivre seul en appartement l’isolerait complètement du monde. Dehors, il estime faire partie d’une communauté, d’un petit village, Il s’est bâti un cercle d’amis fidèles comme le gardien de sécurité de nuit du parc, une dame qui travaille dans une charcuterie non loin de là, une serveuse du bar du coin, et plein d’autres gens du quartier qui lui rendent visite une fois de temps en temps, pour lui apporter un café, un petit sandwich, une soupe, M. Do me raconte même avec un sourire qu’un voisin, âgé de 70 -75 ans et demeurant de l’autre côté de la rue, lui prépare un petit cocktail une ou deux fois par mois : « Le monsieur en question arrive ici autour de 9 h le matin et prépare le cocktail avec une lime verte, un carré de sucre brun, une bouteille de boisson et hop, le punch est prêt! » «Mais la plus belle chose qui fait ma journée, poursuit-il, c’est quand une gardienne d’enfants passe dans le coin avec des jeunes de 5-6 ans, et que les enfants me disent : «Bonjour M. Do, ça va bien M. Do ?» avec un sourire. Tu ne peux pas savoir comment ça me touche au cœur de voir ces enfants-là me saluer et dire mon prénom», dit-il d’un air à la fois triste et heureux.

Un jour, il est allé au service de banque alimentaire et a demandé à la directrice des petites pelles et des camions pour enfants. qu’elle s’est empressée de lui donner dans un sac. Le lendemain quand il a vu passer la gardienne, il lui a remis le sac plein de jouets pour qu’elle les remette aux enfants, Ils se sont tous levés et lui ont dit un gros merci : «Ça été le plus beau moment de mon itinérance à ce jour. »

F.-X, a pu se rendre compte, à travers cet échange, que M. Do semblait bien aller. Ils se reverraient le lendemain. M. Do devant se rendre au Trajet pour se laver. Il est 3 h 30 du matin. Après quelques heures passées à discuter et à visiter le secteur sous une faible pluie, F.-X. et moi décidons de rentrer au bureau pour qu’il écrive son rapport, et pour qu’il m’en apprenne un peu plus sur lui et l’organisme.

 

Un métier qui fait grandir

Il pratique ce métier depuis cinq ans, deux ans à Saint-Jean-surRichelieu et trois ans à Terrebonne. Il a 25 ans et adore son métier. F.-X. m’avoue qu’il a peut-être commencé ce travail un peu trop jeune « je ne pense pas que j’avais la maturité suffisante pour travailler avec des cas aussi lourds et aussi complexes. Mais en même temps, je ne serais peut-être pas l’intervenant que je suis aujourd’hui si ne je n’étais pas passé par là. C’est ce qui m’a fait grandir et apprendre, j’aurais pu continuer d’aller à l’école, mais je n’aurais jamais pu acquérir autant de connaissances que si je n’étais pas allé directement sur le terrain auprès des gens. »

Je l’interroge sur son travail au quotidien. «Mes tâches ne sont jamais les mêmes. Une journée, je peux commencer à 19 h pour terminer à 5 h. Une autre, je peux commencer à 15 h et terminer vers 23 h. Les interventions ne sont jamais les mêmes,» La Ville de Terrebonne collabore-t-elle avec son organisme ? « Elle nous reconnaît en tant qu’organisme et en tant que travailleurs de rue, au même titre que les autres organismes en hébergement. Non, nous ne recevons pas une subvention directe de la Ville, mais elle collabore directement avec nous au niveau des instances, par exemple elle nous prête des tentes pour des levées de fonds, etc. »

Il est déjà 5 h. Avant de me raccompagner chez moi, F.-X. m’annonce que bientôt, tous les organismes sociaux, les ressources d’hébergement, les travailleurs de rue et les banques alimentaires du Québec devraient partager une même base de données statistiques. Ceci devrait permettre de mieux recenser les personnes itinérantes et de mieux gérer la problématique de manière globale.