L’humain dans la vie, dans la mort et au-delà

Yves Manseau, L’Itinéraire, Montréal, le 1er novembre 2016

Je suis un modèle 52. À 14 ans j’entre pensionnaire au séminaire des Pères de Sainte-Croix. En six mois, j’y perds la foi et avec elle, la confiance en moi, la confiance envers les autres et la confiance en ce Dieu de mon enfance.

Cela fait alors de moi un agnostique de culture catholique canadienne-française d’Amérique du Nord et un Américain, comme dirait Elvis Gratton. Conséquemment je quitte ce nid de petits bourgeois, justement â cause de ce beau message chrétien qui les condamnait si bien, selon mon interprétation puérile du moment. Donc, je fugue du pensionnat et me ramasse à la rue pendant six mois. Commence alors une crise d’identité qui m’a propulsé dans une errance dorée, mais qui va finalement me ramener à la rue.

Durant cette période, j’ai mené une double vie. Une si réussie qu’elle m’a conduit à une certaine notoriété et quelques accomplissements personnels et sociaux ; et une autre cachée, vécue dans les bas-fonds des villes où j’ai souvent failli mourir dramatiquement.

Comme la fois où ce gros gars, la main tremblante de rage, mit la pointe de son revolver sur ma tempe et souleva le cran d’arrêt. C’est le cri « Fais pas le fou, fais pas le fou, laisse-le aller » de la personne qui l’accompagnait qui m’a sauvé.

Au cours de mon passage récent sur le pavé, pendant un an et demi à Saint-Jérôme, j’ai fréquemment côtoyé la mort : une opération à cœur ouvert, une confusion cognitive menant à l’internement psychiatrique, et mon incapacité de passer à l’acte suicidaire bien que j’y pense souvent,  à cause de la honte et de la culpabilité de mes contradictions intérieures.

Il y eut des avatars particuliers, comme la fois où je m’étais endormi dans un conteneur de recyclage d’une microbrasserie, à -40 °C. Au milieu de la nuit, je fus réveillé par le camion de vidange et pus sortir et me sauver à temps de la ramasse et de la gelure. Ou cette fois où une personne aussi dérangée que moi a mis te feu à ma cabane, que je venais à peine de quitter, flambant en un instant, car j’y avais entreposé pour me chauffer un produit très inflammable.

Mais, durant cette période, c’est le fait de voir mourir prématurément autour de moi des congénères, des morts évitables, qui m’a interpellé le plus. Je me suis sorti de ta rue, mais la rue demeure en moi : elle est mon lieu d’appartenance et d’implications.

Je n’ai pas peur de la mort, j’en ai fait une amie fiable. C’est la seule connaissance sûre dont j’ai besoin pour éviter le pire : être mort-vivant. Fini pour moi l’errance ; je suis à la quête de mon humanité.

Je ne sens pas le besoin de définir cette puissance. C’est en vivant mes moments d’ombres et de lumières que j’avance à tâtons vers une meilleure compréhension de ce qu’elle est. Je retrouve ainsi non seulement la confiance, mais aussi la foi en moi, la foi envers les autres et la foi en la Vie. À un point tel que j’arrive à vivre sans laisser la mort m’écraser de mon vivant et espère même la transcender au moment de sa venue … où je pourrai dire simplement. «Enfin, c’est accompli». D’ici là, et je ne suis pas pressé, je souhaite à chacun de découvrir et de parcourir longuement te chemin de son heureuse destinée.