Français ou Québécois ?

Claude Cossette, La Quête, Québec, novembre 2016

Les Québécois sont rapides à distinguer les Québécois « de souche » des « nouveaux Québécois », même si ces derniers sont parfois arrivés au Québec il y a des centaines d’années comme c’est le cas des Écossais ou des Irlandais. Plus tard, les Italiens ou les Portugais les ont rejoints comme, plus récemment, l’ont fait les Vietnamiens, les Haïtiens ou les Maghrébins. Quant aux immigrés français, ils forment un groupe particulier pour lequel les Québécois éprouvent un fort sentiment d’amour-haine.

 

Cousins imaginaires

La majorité des Français se font une image caricaturale des « cousins du Canada ». Déjà, cette appellation montre jusqu’à quel point ils sont ignorants de ce qui se passe au Québec, hors la neige, les grands espaces et les Indiens. Et Céline Dion !

De même, les Québécois entretiennent une image déformée de leurs « cousins français». Ils les estiment râleurs — et plus cultivés qu’ils ne le sont en moyenne. Preuve ? En fin de scolarité obligatoire, le programme PISA de l’OCDE évalue les connaissances des jeunes. Au dernier classement, la France arrive au 16e rang sur les 34 pays membres alors que nos étudiants québécois arrivent premiers — vous avez bien lu !

De même, un paysan de la Provence profonde ne sera sans doute pas aussi vif (ni aussi élégant ou prétentieux) que le Parisien et ne parlera pas le français standard des linguistes. Nous n’avons pas davantage à avoir honte de ce que nous sommes. Le critique Marc Cassivi écrit dans Mauvaise langue : « Ce qui me choque […] c’est un Québécois tellement préoccupé par le regard que pose la France sur le Québec qu’il en vient à mépriser ce qui le différencie et fait sa spécificité. Quel Québécois culturellement colonisé ! »

 

Un Français déraciné

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup de Français, fascinés par l’Amérique, ont opté pour le Québec. Au cours de la dernière décennie seulement, plus de 30 000 Français se sont établis chez nous pour totaliser 120 000 résidents.

Or, ces immigrés français sont jeunes et scolarisés, bien plus que la moyenne des Français. Ils sont sans doute également plus débrouillards, plus fonceurs, et peut-être plus frondeurs que leurs compatriotes.

Pourquoi décident-ils ainsi de se déraciner ? Pour diverses raisons. Parce qu’on leur a offert un poste à des conditions avantageuses, ou parce qu’ils étaient incapables de survivre dans leur région d’origine, parce qu’ils cherchaient l’aventure dans une contrée sauvage, ou parce qu’ils s’imaginaient trouver un terrain où il serait plus facile de réaliser un projet personnel. Pour la personne qui veut se retrousser les manches, il est certainement plus facile de se tailler une place au soleil dans une société jeune comme le Québec que dans une société hiérarchisée comme la France.

Plus facile, mais pas si facile que ça comme l’écrit une personne sur le site Immigrer.com : « Immigrer, c’est l’un des plus grands chocs que vous pouvez rencontrer dans votre vie. Si vous n’êtes pas prêt à vous remettre en question […] l’immigration peut alors devenir très difficile ». Quoi qu’on en pense, le Québec et la France sont bâtis sur des cultures fort différentes. Continuer de suivre activement les débats de l’Hexagone, manger dans les seuls restos français, rire avec les humoristes parisiens, bref se retirer dans un ghetto avec ses compatriotes est une tentation que doit résolument rejeter un Français qui veut prendre racine au Québec.

 

Un Québécois français

Un Français qui veut adopter son nouveau pays, qui veut devenir Québécois, ne pensera pas continuellement qu’en France, la bouffe est meilleure, la médecine plus accessible, le système scolaire supérieur, bref que « chez nous, c’est mieux ». Il appréciera le Québec pour ce qu’il est, en abandonnant, si c’est le cas, son sentiment de supériorité vis-à-vis les natifs de son ancienne colonie.

Ces nouveaux Québécois aimeront les Québécois pour ce qu’ils sont, pour leur gentillesse et leur simplicité, comprenant que s’il est facile de les aborder, leur amitié ne sera pas forcément instantanée.

Quant aux grandes gueules, elles monologueront seules dans leur coin, rejetées à la marge, car les Québécois n’aiment pas la confrontation ; l’engueulade n’est pas leur sport national. Les chialeux, si immigrants soient-ils, seront ignorés.

Et quand « les nouveaux » préféreront le hockey au soccer, on y verra le signe qu’ils se sont véritablement enracinés, qu’ils seront devenus Québécois. Des Québécois français et non des « Français du Canada » comme nous étiquetait leur défunt président Charles de Gaulle. Toutefois, l’intégration est une valse qui se danse à deux. Nous, qu’aurons nous fait pour corriger les préjugés que nous entretenions sur les « maudits Français » ?