Le secret le mieux gardé du monde

Guy Boyer, L’Itinéraire, Montréal, le 15 septembre 2016

À l’échelle planétaire, les scandales se succèdent quotidiennement. C’est dans l’air du temps, semble-t-il. Un héritage de notre monde, de notre histoire capitaliste. Mais qui se souvient des Panama Papers ? Malgré l’ampleur du scandale, on semble déjà l’avoir oublié. Pourtant, c’est encore brûlant d’actualité! Le secret le mieux gardé du monde de Bastian Obermayer et Frederik Obermaier, les deux journalistes qui ont déclenché l’affaire, nous offre un regard éclairant sur ce monde opaque des paradis fiscaux.

Les auteurs, du journal Suddeutsche Zeitung, qui emploie nos deux lascars à Munich, ont eu le scoop de leur vie et ont publié toute l’histoire. Ils se sont astreints, pendant plus d’un an, à un régime de travail infernal. On ne s’improvise pas lanceur d’alerte ou journaliste d’investigation comme ça !

Bastian Obermayer et Frederik Obermaier. Photo : Stéphanie Füssenich

Bastian Obermayer et Frederik Obermaier. Photo : Stéphanie Füssenich

Une tâche titanesque

Parallèlement à la rédaction du livre, les auteurs ont reçu et étudié une montagne d’informations confidentielles transmises dans le plus grand secret pendant un an, par une source, un lanceur d’alerte anonyme. C’est la plus grosse masse de données jamais piratées à ce jour. Ils ont aussi dû trouver des outils techniques avancés pour fouiller les données efficacement et des journalistes d’investigation de par le monde avec qui partager ces informations parfois très sensibles. Une tâche titanesque.

Ces outils techniques ont été développés à travers le Consortium international des journalistes d’investigation (lCIJ) basé à Washington. Présent dans 65 pays, l’IClJ est un rouage essentiel dans la diffusion d’une information fiable. Un moteur de recherche spécialisé a été inventé pour chercher dans plus de 200 000 sociétés-écrans, des millions de courriels, des centaines de milliers de documents pdf, photos de passeports, etc.

Mossack Fonseca, comme on le découvre dans le livre, se spécialise depuis plusieurs décennies dans la création de sociétés écrans ou offshore dans n’importe quel paradis fiscal comme le Panama, c’est-à-dire une juridiction exempte d’impôts et de régulations fiscales, tant pour les particuliers que les entreprises. Mais le scandale dépasse largement le seul cas de Mossack Fonseca : on compte environ 70 paradis fiscaux et centres financiers offshore de par le monde. Plusieurs personnalités politiques en exercice sont aussi montrées du doigt.

 

Risqué d’être un lanceur d’alerte

La source, surnommée John Doe, publie un manifeste dans Le secret le mieux gardé du monde pour expliciter de façon éclatante pourquoi il a piraté les données accumulées chez Mossack Fonseca, une firme d’avocats basée au Panama, depuis sa fondation en 1986. Ce manifeste a été publié aussi intégralement dans le journal Le Monde  sous le titre La révolution sera numérique, par John Doe, le lanceur d’alerte des Panama Papers.

Mais, comme on le sait, être journaliste ou lanceur d’alerte peut être très risqué, et pas seulement dans les pays totalitaires. Julian Assange. Edward Snowden. Thomas Drake. John Kiriakou et Jesselyn Radack en savent quelque chose.

La source des Panama Papers n’échappe pas à la règle. Une personne est soupçonnée de vol présumé de données informatiques et est interdite de quitter la Suisse. Celle-ci travaillait pour le bureau genevois de Mossack Fonseca. Les investigations et analyses pourraient durer plusieurs mois.

 

Rien ne change

C’est vrai, depuis la publication du livre, et depuis la sortie du scandale, qui a fait la une des journaux pendant plusieurs semaines, des mesures ont été prises. Un comité d’experts de sept personnalités a été mis en place par le gouvernement panaméen. Mais deux ont démissionné avec fracas le 5 août dernier.

La réalité, c’est que malgré les lanceurs d’alerte, malgré tous les scandales de corruption, on dirait que les choses ne changent pas. Pourquoi ? On dirait qu’on ne réalise pas l’ampleur du scandale, malgré toute la pauvreté, malgré les gens qui s’échinent à travailler et payer leurs impôts… Quand beaucoup de gens qui appartiennent au fameux 1 % ne paient pas leur part! Le système est devenu compliqué, trop même pour que les gens ne le comprennent, pour que les vrais criminels soient retracés.

Le secret le mieux gardé du monde était d’ailleurs un peu frustrant à lire : ce sont toujours les mêmes magouilles qui reviennent. SwissLeaks, LuxLeaks, et les Panama Papers … Espérons que le livre permettra aux gens de comprendre l’ampleur du scandale, et qu’il nous poussera à agir pour changer les choses, pour que les magouilles cessent.