Clémence Lord, L’Attisée, Saint-Jean-Port-Joli, septembre 2016
Rares sont les personnes qui savent concilier leur vie professionnelle et leur âme d’artiste. Michelle Séguin fait partie de celles-ci. Elle a su consacrer 37 ans de sa vie à une carrière de gestionnaire en logement social tout en nourrissant une passion pour le chant classique.
Consacré est ici le mot juste. À sa manière remarquable, elle a joué le rôle d’une chef d’orchestre dans son domaine. Sa mission a toujours été « d’offrir des logements de qualité certes, mais aussi des services de qualité aux gens qui les habitent». C’est en 1978 lors d’un cours d’Initiation à la coopération que se trace le premier sillon de son futur parcours : « Créer de la richesse collective et non individuelle. » Elle n’en dérogera pas d’un iota par la suite.
Faisons d’abord connaissance avec la petite Michelle. Elle naît sur les bords du majestueux Lac Saint-Jean, à Saint-Méthode, aujourd’hui fusionné à Saint-Félicien. 3e d’une famille de 10 enfants. Son père Lucien camionneur, est décédé depuis plusieurs années. « Nous les 6 filles, étions toutes amoureuses de notre père! » Quand à sa mère Blanche, qu’elle qualifie de « véritable Émilie Bordeleau, elle aime bien chef d’œuvrer ». Entendons par là, mettre ses talents au profit de la menuiserie et de la couture.
Les étés s’écoulent dans les éclats de rire et baignades. « C’est le bonheur total! » Et ce même si sa petite enfance est marquée par la poliomyélite à 18 mois. Elle sera hospitalisée, puis en réhabilitation à l’ancien hôpital Pasteur de Montréal durant 9 mois. Mais Michelle a déjà l’âme d’une battante, et c’est la fête lorsqu’elle rentre enfin à la maison avec son orthèse pour lui faciliter la marche. Cela ne l’empêchera guère de se montrer casse-cou à ses heures, ni de continuer à s’épanouir pleinement. Ses études primaires et secondaires terminées, elle complète un DEC en informatique à Jonquière puis poursuit en Management à l’université Laval. À l’été 1971, avec sa grande amie Denise, elle se rend en train à Toronto. Elles y seront gardiennes d’enfants.
Mais l’été qui est marqué d’une petite fleur bleue au coin du cœur, c’est celui de la Superfranco fête de Québec en 1974. Elle y rencontre l’amour de sa vie. Il prend les grands moyens pour gagner le cœur de sa belle : lui écrit des poèmes. Elle unit sa destinée à ce grand gaillard au cœur d’enfant, Daniel Saint-Pierre en 1976. Leur logement de Saint-Aubert sera rasée par les flammes en 1978 et ils y perdront tous leurs souvenirs.
L’alimentation saine et naturelle a toujours été une de ses préoccupations. Elle participe à la mise sur pied de la Coopérative d’aliments naturels La Cuillère à Saint-Jean-Port-Joli. Puis sera copropriétaire durant 4 années de l’épicerie-restaurant La douce aventure de Montmagny et de La Pocatière.
Mais revenons à l’essentiel de son parcours en logement social qui débute au Groupe de ressources techniques (GRT) d’Habitation populaire de la Côte-du-Sud (HPCS) à Montmagny en 1979, comme chargée de projets. À ce titre, elle contribue à la mise sur pied de plusieurs coopératives d’habitation et organismes à but non lucratif (OBNL) de la région. Tant à Armagh, Saint-Fabien-de-Panet, Montmagny, Saint-Pamphile, Saint-Marcel, Sainte-Félicité, La Pocatière et même Rivière-Ouelle.
Elle devient coordonnatrice du GRT en 1980 et participe à la naissance de la Coopérative d’habitation l’Accueil en 1981. L’ancien hôpital de Saint-Jean- Port-Joli abrite dorénavant 19 logements pour personnes âgées. La Coop ajoute à son actif en 1984, un 4 logements Le Hameau. Puis la Résidence l’Oasis est construite en 2003 où des services de repas et entretien ménager sont offerts. 2011 amène une 2e phase de développement et l’ajout de 23 logements qui permettra un service de surveillance en soirée, puis en nuit. À compter de 1995, elle assume la gestion de ces 3 résidences. Pour bien garder le cap et se ressourcer, elle médite chaque jour.
Puis en 2016, l’heure de la retraite sonne. Soucieuse de bien préparer sa remplaçante Madame Martine Chouinard à qui elle passe le flambeau, elle quitte progressivement ses fonctions de directrice générale de la Coop l’Accueil. Tous les résidents lui témoignent leur vive appréciation en lui organisant une belle fête surprise le 1er juin dernier qui la touche droit au cœur. Tour à tour on la qualifie de : « femme de tête, femme de cœur et femme d’amour ». Madame Francine Duval, vice-présidente de la Coop a tenu à lui rappeler que : « Les grandes dames ne sont pas toutes à la Maison-Blanche, et qu’on en était encore à lui chercher quelque défaut…»
Et son âme d’artiste dans tout ça. Écoutons sa professeur de chant Madame Nicole Biron, devenue son amie : « Lorsque Michelle s’est présentée chez moi pour des cours de chant, elle souhaitait apprendre à mieux maitriser son instrument. Sans le savoir, elle était déjà sur la bonne « voix ». Comme le dit Jeanne Pierlot : « S’il existe une vérité du chant, elle ne se dévoile qu’à ceux qui la cherchent ». Michelle explorait et exploitait déjà son potentiel vocal. J’ai donc découvert une femme merveilleuse, dotée d’une voix ample, généreuse et juste. Elle savait vibrer avec la musique et toucher les cœurs.»
Elle a chanté souvent bénévolement pour diverses causes caritatives et lors de rencontres amicales. C’est cependant lors du Festival de danse folklorique d’Égypte en 1997 qu’elle a vécu les frissons de la grande scène et des signatures d’autographes comme une star!
Que dire du départ subit et beaucoup trop tôt de son compagnon de vie Daniel en 2012? Deuil si douloureux à vivre et absence longue à apprivoiser. Familles et nombreux amis
l’entourent ; ses grandes capacités de résilience lui aident à reprendre progressivement goût à la vie. Elle sent qu’il continue de veiller sur elle ; un arbre est planté dans la cour en sa mémoire.
Elle envisage la retraite avec sérénité : « Je ne serai plus à la course, je pourrai respecter mon propre rythme, me déposer, prendre le temps de lire, voir des amies, écouter de la musique, chanter…» « Si j’ai semé de la joie dans le cœur de certaines personnes et que cela a permis qu’elles soient plus heureuses, ma vie aura été réussie.»
Nul doute que ce souhait est déjà réalisé.