Photo : Mario Alberto Reyes Zamora

Alimentation et agriculture : Vers plus de justice alimentaire?

Alexandra Guellil, L’Itinéraire, Montréal, le 1er août 2016

En 2010, environ 40 % de la population montréalaise n’avait pas accès à des fruits et légumes frais à distance de marche. Chez les personnes défavorisées, cette proportion atteignait 34 %.

Autre donnée tout aussi troublante, plus de 55 % de personnes étaient concernées par ce problème d’accessibilité dans certains secteurs de l’île de Montréal. Ces chiffres, révélés par une étude de la direction de la santé publique, prouvent qu’il reste encore beaucoup à faire pour contrer ces déserts alimentaires.

Directeur général du Carrefour alimentaire Centre-Sud, Jean-Philippe Vermette plaide pour plus de justice alimentaire c’est-à-dire permettre «un meilleur accès pour tous à une alimentation saine, abordable et culturellement acceptable prenant en compte à la fois les questions de fraîcheur et de provenance des aliments ».

Pour M. Vermette, l’offre alimentaire «est tellement mauvaise que l’on se retrouve non plus dans des déserts alimentaires, mais des marécages. C’est-à-dire que dans beaucoup de quartiers centraux, il y a un manque d’accessibilité a des produits frais, comme les fruits et les légumes, par exemple ». C’est donc pour répondre à ce manque que le projet pilote des « dépanneurs fraîcheur» est né. L’idée est d’envoyer un autre message, «plus positif» au consommateur assurant qu’il est possible d’acheter des fruits et des légumes au dépanneur. Actuellement, neuf dépanneurs situés dans les quartiers Saint-Henri, Centre-Sud, Lachine et Bordeaux-Cartierville ont accepté de relever le défi en installant un kiosque à fruits et légumes dans leurs établissements.

 

Le juste prix

Pour Jean-Philippe Vermette, les campagnes de publicité et le contexte culturel sont généralement tournés vers la malbouffe ou le prêt à manger. « Il y a une sous-évaluation des prix des aliments qui cause de nombreux dommages sur la santé. Il faudrait parler du juste prix des aliments, c’est-à-dire faire en sorte que le coût de production des fruits et légumes soit autant subventionné que celui du porc ou bœuf», explique-t-il précisant que le financement de certaines filières plutôt que d’autres est avant tout un choix politique.

L’homme plaide aussi pour ce qu’il appelle le juste prix, c’est-à-dire le montant auquel devrait revenir une tomate ou une livre de viande tout en étant adapté à la réalité des consommateurs. «Il s’agit de faire en sorte de trouver un juste prix pour les fruits et légumes frais afin d’assurer la viabilité de la consommation comme de la production. En d’autres termes, trouver une façon de faire la transition pour modifier nos habitudes de consommation. »

Questionné au sujet de l’industrie bio, Jean-Philippe Vermette plaide davantage pour favoriser les aliments locaux et l’équitable avant le biologique, notamment en raison de la réglementation qui diffère en fonction que l’on se trouve au Québec, en Californie ou encore au Costa Rica, des zones qui ont chacune leurs propres processus de labélisation. « La première preuve de confiance qui doit s’établir, c’est celle de la connaissance pour le consommateur, de son producteur et ensuite, de la façon dont les aliments sont produits », précise-t-il avant d’ajouter qu’« au Québec, nous avons environ deux millions d’hectares en culture dont 1.7 million est réservé ô faire vivre deux industries: celle du bœuf et celle du porc ».

Photo : Mario Alberto Reyes Zamora

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Il serait donc complètement illusoire, selon lui de penser que le biologique pourrait ne pas suffire à la planète en terme d’alimentation. « C’est un faux raisonnement. Ce dont il faut se rendre compte, cest que si nous ne changeons pas nos habitudes alimentaires, nous aurons besoin des OGM pour subvenir à nos besoins. Il faudrait donc s’interroger sur notre consommation de viande et de lait, deux cultures qui nous ont été données dans une époque qui est aujourd’hui révolue. Ensuite, il faut réfléchir à la façon dont on peut produire moins et mieux. »

 

Et l’agriculture urbaine?

Éric Duchemin est professeur à l’Institut des sciences de l’environnement à l’UQÀM et directeur du Laboratoire sur l’agriculture urbaine. Quand il lui est demandé de tirer un constat sur notre vision de l’alimentation et l’agriculture, il dit penser que les citoyens ont une plus grande conscience collective menant vers un mouvement social de plus en plus généralisé. « Ce n’est plus tant la question de savoir comment on mange, mais plutôt de savoir comment les aliments nous arrivent. La question porte donc sur le système alimentaire, sur lequel les citoyens n’ont plus de contrôle».

De là interviennent toutes les questions liées à l’agriculture urbaine qui permet « un développement des systèmes alimentaires sur lesquels les consommateurs ont une mainmise». Le contrôle du marché alimentaire dévierait donc des grandes industries vers plus de solidarité citoyenne. Cette agriculture dite urbaine, Éric Duchemin la caractérise par « toutes les actions de faire pousser ou planter une plante dans le but d’instaurer plus de justice alimentaire, c’est-à-dire faire en sorte que les citoyens puissent manger les aliments de qualité à proximité ».

La question de la réappropriation du territoire est aussi primordiale. À ce sujet, c’est la ville de Détroit, aux États-Unis qui a su se démarquer depuis quelques années. À la seconde moitié du 20e  siècle, la ville emblématique de l’industrie automobile américaine a traversé une crise économique qui s’est matérialisée par la baisse de sa population ; alors que la ville comptait 1,85 million d’habitants en 1950, seules 713 000 personnes y étaient recensées en 2010, soit une diminution de 61 %. Ayant misé son développement économique sur un seul secteur, l’automobile, de nombreuses tensions sociales et raciales sont apparues.

La ville est considérée comme la plus pauvre agglomération du pays ; le tiers de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Les emplois ont été délocalisés, du centre vers les banlieues ou même d’autres villes tandis que les terrains vagues et abandonnés se sont multipliés au fil des ans, créant ainsi une réelle rupture paysagiste. N’arrivant plus à répondre à ses besoins primaires, la ville est au bord de la faillite. La solution est venue des habitants qui ont choisi de réutiliser les terrains vagues et d’y installer des potagers, jardins communautaires et fermes urbaines.

 

Détroit est t’exemple dé qui révèle à quel point la réappropriation du système alimentaire est primordiale. Pour Éric Duchemin, « l’agriculture urbaine permet au citoyen de se réapproprier son milieu de vie, de le transformer». À ce sujet, de plus en plus de quartiers montréalais mettent à disposition des citoyens des plantes potagères en libre-service. « Si a une certaine époque, le même procédé était utilisé pour les fleurs, il s’agit d’un mouvement qui permet de remédier à l’insécurité alimentaire. Je crois aussi que l’utilisation des trottoirs est une des avenues qui révèle que les jardins communautaires ne sont pas la seule possibilité de remédier à l’insécurité alimentaire ». Les initiatives qui participeront à éduquer autrement les citoyens foisonnent de plus en plus à Montréal et ailleurs.