Geneviève Gélinas, GRAFFICI, Gaspésie, le 5 mai 2016
Guillaume Arsenault lance ces jours-ci son cinquième album, "De l’autre côté des montagnes". Le Gaspésien de 39 ans, originaire de Bonaventure, a discuté avec GRAFFICI de création en région, des aspérités du côté nord, de « superbone » et de ses mille occupations.
GRAFFICI.CA : Tu as déménagé de Bonaventure à Cap-au-Renard, « De l’autre côté des montagnes », du côté du nord, du vent, de l’ombre. Est-ce que ça a changé quelque chose à ta musique?
GUILLAUME ARSENAULT : Je ne penserais pas, mais en même temps, je suis souvent sur la route, à travers les montagnes. La chanson, c’est prendre des images pour préciser des opinions, des émotions. Inconsciemment, on prend les images de ce qui nous entoure. [Du côté nord], la montagne est plus proche, les éléments plus hostiles, les vents plus présents.
C’est aussi que mon lieu de création a changé. Je me suis construit un petit studio, L’Oreille du renard. Ça change ma méthode de travail, j’ai une petite bulle que je n’avais pas. C’est un bâtiment à part avec une vue sur le fleuve. Certaines pièces ont été enregistrées là, d’autres au studio Tracadièche à Carleton, d’autres à Montréal, d’autres à la chapelle de Cap-au-Renard ou au sanctuaire de Pointe-Navarre [à Gaspé].
Dans tes chansons, tu parles de route, de retrouvailles, d’un amour… C’est un disque où tu racontes beaucoup de ta vie?
Oui, c’est très intime comme album, c’est très amour, poésie, relations, communication. C’est moins dirigé que mes autres albums. Tant sur Le Rang des Îles que sur Geophonik ou Oasis Station Service [d’autres albums], il y avait une direction précise, plus serrée. Alors que là, c’était liberté totale, ce qui venait, ce que l’inspiration allait m’apporter. Dans cette liberté, il y a des choses qui ne sont pas dans le style de ce que je fais habituellement. Il y a une fragilité.
Avant, en ayant un but précis, je jetais beaucoup de choses vraiment intéressantes. Je me suis rendu compte que ce que je trouvais en cours de route était plus important des fois que ce que je cherchais. J’ai commencé à l’exploiter, à accepter ce qui m’arrivait. C’est mettre la lumière sur un versant de moi que je ne dévoilais pas, ou moins, dans mes autres albums.
Ton album commence avec une voix, une guitare. Puis au fil des chansons, on entend de la clarinette, du violon, de la trompette. Cette recherche de timbres, elle arrive quand?
J’entendais beaucoup le cor français, mais j’ai trouvé le son que je voulais avec le « superbone » [interprété par Charles Imbeau], un mélange de trompette et de trombone. Je voulais beaucoup de réverbération. On est allés chercher ça en enregistrant à la chapelle de Cap-au-Renard.
Je suis aussi un fan de deux personnes d’une autre génération, Mathieu Pelletier-Gagnon et Antoine Létourneau-Berger, qui ont dans la vingtaine. Je me suis dit : c’est l’occasion de travailler avec eux. Pour « Dors comme une montagne », Mathieu a pris deux clarinettes, un violon, un violoncelle. C’est très vivant, c’est la faune et la flore, des petits animaux qui bougent, comme dans un dessin animé. C’est très coloré comme arrangement.
Tu écris : « Je tire du 12 à pompe dans le ciel/Avec des cartouches d’imprimante »… Il y a plein de ces images flyées dans ton disque. Où prends-tu ça?
« Constellation de bouées » [le nom de la chanson], c’est une œuvre éphémère, in situ, qu’on a faite Julie Fournier [son amoureuse, artiste en arts visuels] et moi sur le bord de la mer à partir de choses trouvées : des grands arbres avec de la corde, des bouées, des fils, des marmites rouillées, des petits arbres de plantations, des cartouches de 12, un vieux canard en plastique de chasse… On a fait une installation avec ça. Tous les éléments de cette chanson viennent de cette création. On avait présenté notre création avec cette chanson-là.
En déménageant à Cap-au-Renard, tu ne t’es pas beaucoup rapproché des grands centres. Quand on est musicien en Gaspésie, peut-on tout faire ici? Sinon, qu’est-ce qu’on ne peut pas faire?
Tu vois, les violons, clarinette, j’aurais bien aimé les enregistrer en Gaspésie, mais ça aurait été une dépense importante d’amener les gens de Montréal en Gaspésie. Sinon, pour le côté studio, on ne peut pas avoir mieux ailleurs, ni en relations de presse. En Gaspésie, on a de bonnes plumes, comparativement à la ville où ça va vite et où les gens « butch » même leur travail.
Ça veut dire que pratiquement tout a été fait ici?
Oui, sauf le mix et le mastering. J’aurais pu le faire en Gaspésie mais je voulais travailler avec Francis [Beaulieu], quelqu’un de Rimouski qui est à Montréal.
La chanson « Une guitare, une valise », est-ce un peu toi et la nécessité de te déplacer pour le travail?
« Une guitare, une valise », c’est une chanson pour Éric Dion [musicien gaspésien du duo Dans l’shed], et qui résume la vie de musicien. Éric avait laissé son travail d’enseignant pour faire de la musique avec Dans l’shed. Il a l’habitude d’avoir plusieurs instruments et guitares avec lui. Ça prend un corridor de long de guitares, d’amplis et de pédales d’effet. Mais une fois, on venait de faire un spectacle très intimiste, comme j’en fais de plus en plus, le plus acoustique possible. Quand Éric a débarqué de la voiture, il a dit « c’est donc le fun, juste une guitare, une valise ». J’ai eu beau essayer de l’envoyer ailleurs, c’est une phrase country.
Moi, je suis toujours sur la route, pour différentes choses : les médias, travailler avec des gens ailleurs, je fais de la réalisation, de la musique pour le théâtre, des spectacles, des ateliers, de la musique pour des documentaires. Ce sont des choses que j’ai développées. Mais le métier a changé. On n‘a pas le choix, il y a tellement peu de revenus. Quand j’ai commencé le métier en 2002, on payait les musiciens 300 $ pour un concert. Aujourd’hui, les jeunes musiciens reçoivent 150 $ ou 200 $ alors que le coût de l’épicerie a plus que doublé. Il faut se diversifier, c’est comme si c’était un autre métier.