Grogne dans l’industrie de l’acériculture : Mais que dit le rapport Florent Gagné ?

Guy Brousseau, Le p’tit journal de Woburn, Woburn, mai-juin 2016

Tout le monde à Woburn connaît une personne qui travaille dans l’acériculture puisque la municipalité compte 17 entreprises productrices de sirop d’érable. Au moment de publier ce dossier, les acériculteurs et acéricultrices de Woburn se remettent d’une saison très haute en couleur, puisque le sirop a coulé en abondance. Cette bonne récolte n’a cependant pas fait disparaitre leurs préoccupations légitimes concernant l'étude commandée par le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ), Pierre Paradis, une étude menée par Florent Gagné et déposée à la MAPAQ en décembre 2015. Pourquoi avoir commandé une étude? Dans un communiqué émis le 15 mai 2015, le MAPAQ exprimait son inquiétude quant à l'avenir de l'industrie acéricole québécoise. « Je constate, disait le ministre, que notre position de leader mondial de l'industrie acéricole est en déclin. » Afin de comprendre un peu mieux de quoi il en retourne, le journal présente aujourd'hui les grandes lignes du rapport Gagné. Puis, au prochain numéro, il donnera la parole aux gens qui travaillent dans cette industrie à Woburn afin qu'ils puissent partager leurs points de vue sur cette question.

 

Portrait de la situation

 

Premier constat tiré du rapport Gagné, pendant longtemps le Québec a fourni plus de 80 % de la production  des produits de l’érable. Et, selon les dernières données, le Québec a vu cette part du marché diminuée à 70 %, principalement à cause de la concurrence de l'industrie américaine qui a augmenté sa production. Toutefois, de 2004 à 2014, la production québécoise est passée de 108 millions de livres à plus de 160 millions de livres. Le rapport Gagné qualifie l'industrie de l'acériculture comme prospère. En 1985, le Québec comptait 14 millions d'entailles. En l'an 2000, il en comptait 33 millions. Aujourd'hui, la province atteint quelque 43 millions. Le potentiel total est estimé à 100 millions d'en-tailles. Du côté du prix payé au producteur, il est passé de l,54 $/Ib en 2001 à 2,80 $/Ib en 2014.

Quant à la progression de l'industrie de l'acériculture aux États-Unis, le nombre d'entailles a augmenté de 45 % entre 2007 et 2015, passant de 8,2 millions à 11,9 millions. Le rendement par entaille est maintenant significativement supérieur à celui du Québec, alors que les deux rendements étaient semblables il y a 10 ans. Deux facteurs ont permis à la production américaine de croître de 45 % entre 2007 et 2012 : le prix élevé et stable du sirop d'érable et la constance des conditions de marché établies au Québec. On constate cependant que la consommation mondiale s'est accrue de 35 % depuis 5ans, passant de 114 millions de livres à 156 millions de livres, ce qui a permis au Québec d'augmenter ses ventes malgré la croissance de la concurrence américaine.

 

Le développement du marché

 

Dans ce contexte et selon le rapport Gagné, seule la croissance de la demande peut assurer l'avenir de la production québécoise. Le rapport adresse une première recommandation à l'effet de favoriser la concertation de tous les intervenants et intervenantes de ce secteur pour assurer un développement solide du marché international des produits de l'érable du Québec. Le rapport démontre la nécessité pour les produits québécois de miser sur le développement d'une image de marque « Québec» axée sur l'authenticité, la qualité et la traçabilité.

 

 

La deuxième recommandation du rapport Gagné souligne la nécessité de consentir des efforts en matière de promotion et de mettre l'accent sur la disponibilité et la sécurité d'approvisionnement du sirop d'érable du Québec et sur son caractère distinctif. Selon le rapport Gagné, la baisse de 10 % de la part du Québec sur le marché mondial ne doit pas être perçue comme une catastrophe, mais comme un signal sérieux à ne pas ignorer. Pour demeurer compétitive, l'industrie québécoise doit poursuivre et accélérer ses efforts pour développer des marchés et prendre la place qui lui revient.

 

Le système actuel de mise en marché

 

Le rapport Gagné estime cependant que les recommandations précédentes ne suffisent pas à relever les défis. Il décrit le système actuel comme rigide, principalement à cause du système de contingentement (quotas) et de l'obligation de vendre le sirop en vrac à la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (FPAQ). Selon le rapport, ce système a besoin d'être simplifié, assoupli et oxygéné, car il force les producteurs à attendre trop longtemps avant de pouvoir obtenir de nouveaux quotas.

 

Le rapport propose ensuite des améliorations à apporter au modèle d'affaires actuel. Trois canaux de commercialisation pour le sirop d'érable existent en ce moment, soit:

• la vente par le producteur de son produit, directement au consommateur et en contenants de moins de 5 litres (environ 10% de la production);

 

• la vente par le producteur ou par un producteur transformateur à un intermédiaire, par exemple une épicerie, en contenants de moins de 5 litres (environ 5 % de la production);

• la vente en vrac en contenants de 5 litres et plus, généralement en barils (environ 85 % de la production).

 

Le premier canal de distribution n'est pas contraint par le contingentement, mais on demande aux producteurs de rendre compte de leur production à la FPAQ. Le rapport recommande de retirer cette obligation de l'entente. Pour le deuxième canal de distribution, les producteurs ont l'obligation de se conformer à différents règlements à ce sujet. Comme les producteurs s'occupent de leur propre mise en marché, le rapport recommande de soustraire ces ventes de l'entente que l'on nomme le « Plan-conjoint ». Ainsi, ce plan s'appliquerait exclusivement à la distribution du sirop en vrac.

 

Le contingentement

 

Le rapport présente ensuite une analyse et des recommandations par rapport au système de contingentement de la production. On rappelle que cette mesure a été adoptée en 2004 afin de gérer la production du sirop d'érable à partir de quotas émis par la FPAQ. D'abord fixé à 65 millions de livres, le contingent global a été révisé progressivement depuis pour atteindre 110 millions de livres aujourd'hui. Est-ce que le système de contingentement est efficace pour limiter la production?

Est-ce qu'il faut limiter la production? Le rapport Gagné répond à ces questions. D'abord, le rapport souligne que, de l'aveu même de la FPAQ, le contingentement ne limite pas la quantité de sirop à produire. Le certificat de contingent délivré au producteur indiquerait seulement la quantité en unités de masse, soit en livres, et le producteur pourrait dépasser cette quantité et la livrer à la FPAQ. Seule contrainte, ce sirop est payé que lorsque l'ensemble du volume contingenté a été vendu sur le marché. Selon le rapport, le contingentement n'a donc aucunement empêché la production de surplus de sirop, qu'il ait atteint le marché légalement ou illégalement. Dans ce contexte, le rapport recommande d'abandonner le système de contingentement qui freine le développement de l'industrie du Québec dans la course internationale.

 

La gestion des stocks

 

Le rapport Gagné recommande que la FPAQ poursuive la gestion des stocks, même en l'absence d'un système de contingentement. Ainsi, elle pourrait influencer directement le niveau de production en fixant la quantité totale qu'elle est en mesure de recevoir des producteurs, et ce, selon la demande du marché et le niveau de la réserve. Par exemple, au-delà d'une certaine quantité la FPAQ pourrait offrir un prix réduit pour les stocks supplémentaires. Le producteur aurait alors le choix d'accepter ce prix ou de disposer lui-même de son excédent de production.

 

La réserve stratégique

 

Quant à la réserve de sirop d'érable, le rapport Gagné ne remet pas en question cette stratégie. Le rapport estime que la constitution de cette réserve représente la contribution la plus marquante de la FPAQ au système actuel. Le rapport recommande cependant que la FPAQ poursuive ses efforts afin de la gérer de façon plus dynamique. La FPAQ pourrait notamment mettre l'accent sur la qualité du produit offert et adapter ses méthodes de vente aux attentes et aux besoins des consommateurs.

 

Le paiement aux producteurs

 

En ce moment, les producteurs se plaignent de ne pas recevoir leur paiement assez rapidement. Afin de régler ce problème, le rapport recommande que le MAPAQ et la Financière agricole du Québec soutiennent les efforts de la FPAQ pour développer et mettre sur pied un programme de financement de la réserve stratégique de sirop d'érable.

 

Le monopole de la mise en marché

 

Lors de la consultation en vue de réaliser cette étude, plusieurs producteurs ont dénoncé le monopole de la FPAQ en matière de représentation des producteurs acéricoles. À ce chapitre, le rapport recommande d'accorder à un producteur acéricole le droit de se retirer du système de mise en marché collectif. Ce droit de retrait serait accordé par la FPAQ si le producteur acceptait de payer les frais équivalents à ceux fixés pour les producteurs participants et s'il consentait à se soumettre aux autres conditions concernant l'inspection et le classement de son produit.

 

Les terres publiques

 

Environ 20 % de la production de sirop d'érable du Québec provient de l'exploitation d'érablières situées sur des terres du domaine public. À cet effet, le rapport Gagné recommande que le MAPAQ, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs et la FPAQ forment un comité de travail permanent afin de développer une approche commune pour favoriser le développement de l'acériculture sur les terres publiques du Québec.

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