Jean François Gérardin et Louise Côté, Le Lavalois, Sainte-Brigitte-de-Laval, mars 2016
À la mi-février, nous avions rendez-vous, dans la classe de 6e au sous-sol de l’église, avec les deux enseignantes qui y oeuvrent. C’est grâce à l’initiative de coenseignement de mesdames Karine Lamarche et de Geneviève Lebel et à la suggestion du personnel de l’école du Trivent d’utiliser le sous-sol de l’église que les élèves de 6e de Sainte-Brigitte-de-Laval pourront terminer leur primaire à l’école du Trivent au lieu d’être déplacés vers Beauport.
Ces deux pédagogues, mesdames Karine et Geneviève se sont rencontrées ici, à l’école du Trivent et sont devenues amies. Elles sont maintenant complices dans l’exercice de leur mission éducative et professionnelle vouée à éveiller de jeunes intelligences et à leur permettre un essor harmonieux.
Un exercice professionnel rare
Pour la troisième année consécutive, le coenseignement est pratiqué à l’école du Trivent au niveau préscolaire, mais c’est la première fois pour la 6e année. Des plus jeunes aux plus vieux, un même mode d’enseignement avec des âges différents, des comportements plus marqués et des identités en formation présentent des défis complexes. Cette méthode d’enseignement propose un exercice professionnel peu répandu dans les écoles primaires ou secondaires du Québec de nos jours. Rare, mais pas nouveau. Elle s’est pratiqué pendant une douzaine d’années à Charlesbourg avec des étudiants présentant de nombreuses difficultés en première et deuxième secondaire. Le coenseignement est une formule éducative qui permet à 1, 2, (même 3) professeurs d’assurer simultanément, pour des raisons spécifiques, un enseignement à un nombre d’élèves différent du ratio maître/élèves en vigueur.
Qualités requises
Les enseignantes attachantes et dynamiques que nous avons rencontrées mettent en commun leurs valeurs et leurs forces respectives. Sur le plan humain, psychologique mais aussi sur le plan de leurs affinités et de leurs spécificités académiques. Cette façon de travailler en équipe permet une complémentarité que renforce indéniablement cette amitié fidèle qui les soude pour une meilleure intervention commune auprès de leur clientèle. Toutefois, outre les vertus indispensables de patience, de discernement, d’écoute active, de souplesse et d’autorité rationnelle, cette formule d’enseignement en équipe exige une grande capacité d’adaptation.
Les enseignantes concernées se doivent d’être un bon public l’une pour l’autre, mais doivent également savoir être des critiques averties de leur consoeur. Leur capacité à recevoir et accepter les remarques et les observations de leur amie et collègue fait partie de cette précieuse complémentarité générée par cette formule en duo.
42 filles et garçons de 6e année avec 2 enseignantes
Essayez d’imaginer cette grande classe où 42 visages sont tournés vers les deux chefs d’orchestre, chacune étant responsable d’une partie de la clientèle dans une proportion relativement égale.
Les personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans une classe à titre de professeurs, d’intervenants ou de spécialistes, peuvent-elles prendre la mesure de l’ensemblede la tâche de ces deux enseignantes aux plans organisationnel, pédagogique, psychologique et stratégique? Les gens aptes à l’empathie et au discernement se rendront sûrement compte que la mission enseignante, en duo comme en solo, requiert du dévouement, de la passion, de la patience, de la résilience pour diriger cette grande classe tout en se satisfaisant, sagement, de toutes les petites victoires glanées tout au long de l’année.
Classe laboratoire
Nos deux enseignantes ont su créer une ambiance et un décor propices aux apprentissages et à une vie chaleureuse dans ce local adapté. Elles ont su aussi déployer beaucoup d’imagination pour « meubler » ce grand espace afin d’en faire un lieu où les élèves se sentent un peu comme à la maison. Une classe laboratoire est ainsi née, son espace utilisé au maximum, murs et même plafond mis à contribution. Comme il existe, en écologie, des milieux qu’on veut humaniser, doter une classe de plantes, de dessins d’élèves, et de créations communes ne peut que lui donner un air chaleureux et une note attachante et en faire un « territoire » où il fait bon vivre en apprenant. Pour quelqu’un qui s’intéresse à un environnement pédagogique stimulant et significatif, la visite de ce local requiert un certain temps. On constate que tout a été fait pour créer un sentiment d’appartenance fort et un engouement de la part des élèves. On devrait toujours exiger que les classes soient « habillées » et décorées. Mission remplie pour ce grand local de 6e année.
En effectuant un tour rapide pour prendre la mesure de tout ce qui équipait cette classe nombreuse, notre regard s’est arrêté devant une colonne sur laquelle Geneviève Lebel avait fixé une aquarelle, un cadeau d’une de ses amies. Sur cette oeuvre, l’artiste avait représenté une grosse souche d’où repartait une frêle branche quelque peu tordue ornée de feuilles. Tout un symbole de vie et une leçon de sagesse pour générer des échanges riches en plusieurs matières…
Outre les illustrations ici et là, on notait une corde à linge sur laquelle étaient suspendus des calligrammes, textes poétiques des élèves présentés sous une formeoriginale. Ailleurs, une grande illustration représentait un arbre aux nombreuses branches. Ces dernières étaient ornées de feuilles qui auraient fait la joie d’un spécialiste de la police judiciaire puisqu’elles étaient formées par les empreintes digitales d’un doigt de chacun des élèves. Tout près, une boîte à lettres, déposée simplement sur une table parmi d’autres objets. Une des enseignantes nous explique que la boîte contient des textes courts, de chacune et chacun, rédigés avec spontanéité et présentant les rêves, les projets d’avenir et les intentions en début d’année. Cette boîte livrera ses secrets en fin d’année, avant que tous ces jeunes ne s’envolent vers les établissements scolaires qui les attendent. Lorsqu’un élève désire se concentrer et être seul pour travailler, il peut aller dans le vaste corridor où un bureau l’attend, près de la deuxième porte d’entrée de sa classe.
Les élèves
Les enseignantes disent que leurs élèves réagissent positivement à cette formule non conventionnelle. Ils sont encore tout émerveillés. Malgré les déplacements pour se rendre de l’église ou au gymnase du Trivent ou à la bibliothèque, les jeunes demeurent disciplinés et fort tolérants à ces va-et-vient obligés. Mentionnons ici que le Cercle des Fermières a offert 42 paires de chaussons en Phentex pour faciliter les nombreux changements de chaussures imposés par les impératifs climatiques quand les élèves quittent un lieu pour un autre toutes les semaines et empêcher l’achat d’une nouvelle paire de chaussures par les parents… Il est sûr que des élèves tentent de déjouer parfois une consigne ou une décision en s’adressant à l’autre enseignante, le fameux modèle papa-maman, quand l’un ou l’une n’a pas acquiescé à une demande; mais ils se heurtent, en général, à deux adultes qui se tiennent et qui ne sont pas nées de la dernière pluie.
Pour les cours d’anglais, d’éducation physique, de musique et à la bibliothèeque, la classe de 6e est toujours divisée en deux groupes. De temps en temps, les élèves utilisent le local de la classe des 4e et 5e années. Ainsi, lors du cours d’anglais, pendant que les jeunes de la classe de madame Véronique ( 4e et 5e) sont à la bibliotèque, madame Karine utilise son local pour donner le cours d’univers social à l’autre partie du groupe de 6e tandis que l’enseignante d’anglais accueille ses écoliers de 6e dans leur local habituel. En travaillant dans diverses conditions, les jeunes apprennent à améliorer leur faculté d’adaption et à conserver l’intérêt dans leur travail.
Une formule qui semble remplir ses promesses
Au contact de ces deux enseignantes, nous avons pu sentir que cette grande classe se dirigeait vers un succès sur toute la ligne. Cette initiative a pavé la voie à une expérience enrichissante, et ce, autant pour les élèves que pour les deux professeures qui peuvent appuyer leur travail professionnel sur une complicité que leur grande amitié génère. Des élèves vivent et auront vécu une année inédite en matière de classe nouvelle. Le fait d’étudier sous l’église leur a offert un concert gratuit d’orgue quand l’organiste préparait les fêtes liturgiques de Noël. Au grand plaisir des étudiants, étudier en musique, quoi de plus stimulant et rare!
Et puis la proximité de l’atelier de tissage des fermières aura aussi permis aux filles et garçons qui le désiraient de pratiquer le maniement du métier et ainsi de nouer des intérêts pour ce type d’artisanat. L’an prochain autorisera-t-il encore de telles initiatives comme celles vécues par les petits du préscolaire et les grands de 6e année? Madame Geneviève et madame Karine sont prêtes à continuer le coenseignement si cela est possible…
La nouvelle école va ouvrir ses portes en septembre, mais déjà on annonce « à guichet fermé » et les pronostics à court terme vont vers des besoins encore plus grands d’espaces additionnels. En ce sens, cette expérience pédagogique fait ses preuves en classes élémentaires et cautionnent un exercice professionnel où élèves et profs ne peuvent que sortir gagnants et gagnantes. « Les dix années où j’ai travaillé en coenseignement, qu’on appelait alors « team teaching », ont prouvé le bien fondé de cette formule », ajoute Jean-François. Geneviève Lebel et Karine Lamarche, à l’instar de leurs consoeurs du préscolaire écrivent une page spéciale du grand livre scolaire de Sainte-Brigitte-de-Laval en ouvrant la route d’une pratique professionnelle pleine de promesses, d’avantages et d’intérêt.