Il n’y a plus rien de «sacré»!

Dominique Boisvert, L’Évènement, Scotstown, février 2016

Cette expression, entendue ce matin à la radio, exprime généralement la déception face au monde actuel. Comme si les choses étaient beaucoup mieux « avant », dans « le bon vieux temps ». Et pourtant, l’histoire montre qu’à toutes les époques, on trouve des gens pour se plaindre du présent en prétendant que le passé était bien meilleur…

Ce n’est pas le sens du présent le sens du présent texte. Nous aimons le monde et les gens qui nous entourent et nous voulons vivre pleinement dans notre époque, avec ce qu’elle offre de meilleur et de pire. Nous ne rêvons pas du passé, même si nous ne le rejetons pas non plus sous prétexte qu’il serait dépassé. Nous essayons simplement de vivre ici et maintenant, le mieux possible, en puisant le meilleur partout, où qu’il soit. C’est vrai qu’ « il n’y a plus rien de sacré ». Et c’est un problème, pour n’importe quel groupe ou collectivité. Le mot « sacré », ici, n’a pas de sens religieux particulier : il signifie plutôt quelque chose d’essentiel, considéré par la majorité comme transcendant, tabou ou inviolable. Quelque chose que tout le monde s’entend pour respecter. Au fond, il s’agit de ce qui fait consensus comme étant essentiel pour une communauté humaine.

Pendant très longtemps, les sociétés avaient plein de « sacré » : des croyances religieuses, des tabous humains, des institutions sociales respectées par tous, etc. En ce sens, les collectivités humaines étaient regroupées autour de valeurs communes qui leur servaient de cohésion et d’objectifs. De nos jours, les individus sont devenus les innombrables « centre du monde », décidant chacun pour eux-mêmes ce qu’ils jugent important et refusant de se laisser dicter leurs priorités ou leur ligne de conduite par qui que ce soit (syndicat, parti politique, religion, ou même la famille). D’où la difficulté bien plus grande de constituer quelque groupe ou collectivité que ce soit, puisque chacun veut garder sa totale autonomie. Ces idées, qui peuvent paraître abstraites, se vivent pourtant dans la vie de tous les jours. À la radio, on parlait ce matin de l’importance des fins de semaine pour le bonheur. Une grande étude américaine, auprès de 500,000 personnes, montre l’influence qu’ont les rites hebdomadaires de repos (samedis et dimanches) sur le bonheur des individus. Autrement dit, la perte du dimanche comme jour « sacré » pour en faire une journée « comme les autres » semble avoir eu un effet très négatif sur le bonheur humain.

Les valeurs ou les comportements que nos sociétés ont longtemps tenus pour « sacrés » (l’honnêteté, le respect de la parole donnée, la déférence à l’égard des femmes ou des personnes âgées, la monogamie sexuelle, les rôles et les tâches respectives des hommes et des femmes, et même l’identité sexuelle des individus, etc.) ont été sérieusement désacralisés. Sur toutes ces choses, il n’existe plus guère de consensus, pour le meilleur comme pour le pire. Quand on en est rendu à devoir adopter des lois pour dire que les élus n’ont pas le droit de pratiquer la corruption, c’est vraiment qu’ « il n’y a plus rien de sacré »!

Et cette remise en question radicale de nos consensus collectifs va jusqu’à la vie elle-même. Même la vie n’est plus « sacrée ». Que ce soit à son début (conception artificielle, sélection des gènes, avortement, grande prématurité) ou à sa fin (mourir dans la dignité, mort sur demande, euthanasie), la vie devient de plus en plus une « commodité », un défi ou une réussite technologiques et scientifiques, un choix personnel, sans aucune forme de référence à une transcendance quelconque, religieuse ou philosophique.

Faut-il s’en réjouir ou s’en désoler? Cela ne mériterait-il pas au moins qu’on s’en parle?

 

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