Jean-Paul Lebel, L’Itinéraire, Montréal, le 15 février 2016
Le Centre d'art Diane Dufresne a ouvert ses portes en novembre dernier, à Repentigny. L'artiste et son conjoint, le sculpteur Richard Langevin, y exposent leurs œuvres jusqu'au 21 février. Même si elle a la réputation de ne pas apprécier les entrevues, j'ai vu dans «la diva » une femme simple, profondément humaine et très ouverte. Et qui, comme de nombreux camelots, a suivi un parcours de vie difficile. Diane Dufresne s'est livrée à nous avec sincérité.
Madame Dufresne, pourriez-vous nous dire quel effet cela fait de prêter son nom à un centre d'art?
C'est une belle récompense. Mon métier de chanteuse a été un chemin de croix. J'ai été victime de beaucoup de préjugés, mais grâce au public j'ai pu devenir la chanteuse que j'ai été et que je suis. Ça m'a donné la chance de pouvoir faire de l'art visuel. Et un beau jour, on crée un centre de création à Repentigny, et on te propose de lui donner ton nom. C’est un honneur de participer à un projet créatif dans un monde où il y a tellement de violence, de misère, de guerres.
Vous avez déclaré plusieurs fois être mal comprise des médias, et avoir du mal à communiquer avec les autres en général. Votre art, ta musique, l'écriture, la peinture, c'est une façon pour vous de communiquer?
En vieillissant les journalistes me comprennent mieux. Comme je suis devenue une vieille sorcière, je suis moins épeurante ! À mes débuts, je ne collais pas au monde du show-business. C'était dans ma nature. Sans rien faire, en restant moi-même, je crois que j'ai participé à changer les choses. On voit aujourd'hui que je ne suis plus dangereuse. Maintenant qu'il y a eu Madonna, qu'il y a eu Lady Gaga, qui ont également touché à la peinture, à l'art visuel et à d'autres formes d'art, on accepte que les chanteurs ne doivent pas forcément se contenter de faire de la chanson.
Quand j'ai commencé, on disait : « Elle est tellement flyée, elle est folle ». Mais je ne suis pas une chanteuse ni une peintre, je suis quelqu'un qui essaie de créer des choses, qui peut amener les autres à se poser des questions, puis leur donner l'envie de créer à leur tour. La créativité, c'est un échange. C’est une façon aussi de défier la mort. C’est une façon de défier beaucoup de choses que de créer, d'oser. On a le droit de se tromper, ce n'est pas grave, c'est juste de la création. Aujourd'hui, les gens attendent en ligne pour entrer dans un musée, mais pas pour alter à l'église. C’est là qu'on se rend compte que l'art est devenu autre chose, c'est une manière d'exprimer sa liberté et c'est devenu un vrai moyen de communication. Ce que je fais, c'est de l'art populaire, c'est sans doute plus accessible que ce qu'a pu faire Jean-Michel Basquiat, par exemple. Même les enfants s'amusent en regardant mes œuvres.
Nous pouvons faire le parallèle avec l'Itinéraire. Nos participants sont parfois des personnes exclues socialement, des personnes souffrant de troubles de santé mentale. Ils s'expriment à travers l'écriture, mais aussi à travers différents ateliers d'art. Pour vous, la créativité peut-elle être considérée comme un facteur d'intégration?
Ça fait des années que je suis L'Itinéraire, c'est un beau projet, et on est toujours fier d'y participer. J'ai été une exclue, mais une exclue qui a eu une autre sorte de chance. J'avais un frère qui lui aussi a eu une vie très difficile. Moi j'ai pu écrire un livre là-dessus, j'ai été une exclue mais j'ai pu l'exorciser. Si je n'avais pas pu créer, je serais devenue quoi ? Si tu ne crées pas, tu fais quoi ? On pense que j'ai beaucoup d'ambition, mais j'ai juste eu la chance de rencontrer des gens : Guy Latraverse, Luc Plamondon, François Cousineau ou Clémence Durocher. J'étais une fille de club, même les autres girls ne voulaient pas trop se mêler à moi. C’est comme si je n'avais pas eu le même sarrau. Quand je chantais, au début des gens disaient: « Elle ne peut pas chanter ça. une femme ne chante pas ça ! J'étais toujours en dehors, mais moi ça me plaisait, les gens qui étaient différents. C’est sûr que je ne suis pas dans la rue, et je ne suis pas quelqu'un qui manque d'argent. Mais l'exclusion, quelque part, je la connais, je suis un outsider.
Dans votre livre Mots de tête, vous disiez que la solitude était arrivée dans votre vie le jour où vous avez perdu votre mère. Est-ce que vous combattez encore cette solitude aujourd'hui?
J'en ai de besoin, de cette solitude, je suis quelqu'un de solitaire, je suis quelqu'un qui vit sans téléphone. Bien sûr, le social, l'échange avec les autres, c'est important. Mais il me faut de la solitude pour créer. Il y a un silence intérieur qu'on doit écouter, et il y a quelque chose qui en sort. Dans le fond, chacun de nous est seul. On est seul face à la mort. Ma mère est morte très jeune, elle n'avait que 34 ans. C'est quelque chose de rencontrer la mort, les êtres humains vivent sans le savoir, avec cette peur de la mort. On a beau dire qu'on n'a pas peur, mais c'est facile à dire quand on ne sait pas ce que c'est. J’ai l'habitude de dire que ta créativité défie la mort. Et dans la créativité, il faut de la solitude. Quand quelqu'un est seul, dans la rue, c'est sûr qu'il peut parfois avoir droit à de beaux sourires. Mais il est seul, il est rare.
De nombreuses personnes à l'Itinéraire souffrent d'une forme d'exclusion parce qu'elles ont vécu un drame dans leur jeunesse, la perte d'un proche, l'abandon, Est-ce que vous auriez un message à envoyer aux camelots qui cherchent à briser leur isolement?
Je sais ce que c'est, j'ai déjà travaillé avec Cœur de femme, une association française qui aide les femmes de la rue. Pourtant, beaucoup d'entre elles avaient suivi des études, On peut se penser beaucoup mieux que les gens dans la rue, quand on les regarde dans notre auto bien chauffée, mais on ne sait jamais ce qui peut nous arriver. Mais il faut accepter qu'on a tous des parcours différents. Je le comprends quand je vois ce que je suis devenue, à côté de mon frère qui a eu une vie très, très difficile. On parle d'exclusion mais on dirait que vous êtes des anges, vous vivez beaucoup de choses.
Comme mon frère, qui était très différent. Quand il entrait dans une pièce, on le voyait tout de suite. Mais il s'en est sorti, à sa manière. C'est l'homme le plus courageux que je connaisse, et je peux dire que je suis qui je suis aujourd'hui grâce à lui. J'ai beaucoup de respect pour ceux qui sont capables d'assumer ça. Comme vous, qui faites très bien votre entrevue. J'ai eu plus d'émotions avec vous que j'en ai eues avec les autres journalistes.