La réalité des piétons à Québec

Marie-Michèle Genest, La Quête, Québec, février 2016

Que ce soit pour acheter une simple pinte de lait au dépanneur ou pour se rendre au travail, les gens sont nombreux à utiliser la plus vieille méthode de déplacement qui soit : la marche. Pourtant, ces usagers les plus vulnérables de la route doivent évoluer dans un monde dominé par la culture de l’automobile. Dur, dur d’être piéton à Québec !

J’envoie la main à Bruno Falardeau qui m’attend de l’autre côté du boulevard Charest. Je regarde à gauche et puis à droite. Aucune voiture à l’horizon. Je traverse, sans attendre le feu pour les piétons. Je suis consciente d’être dans l’illégalité, mais je n’ai aucune envie d’attendre pour rien sur le coin de la rue. « Les feux engendrent une délinquance piétonne », me dit mon interlocuteur tout en me rassurant quant à mon comportement fautif. Selon lui, le système qui régit la sécurité des piétons fait fausse route, parce qu’il est trop maternant et qu’il a été pensé par des gens qui ne l’utilisent même pas. « On a isolé le piéton du paysage urbain, on l’encage ; il faut réhabituer les automobilistes à retrouver les piétons dans leur champ de vision », soutient-il. En sécurisant ainsi les piétons à outrance, les automobilistes en viennent à oublier certaines règles de conduite de base, comme vérifier leur angle mort lorsqu’ils tournent à droite pour détecter la présence de piétons. Et les piétons, quant à eux, sont tentés de flirter avec l’illégalité.

Traducteur de métier, mais aussi activiste pour le droit des piétons à temps plein, Bruno Falardeau n’a pas la langue dans sa poche lorsqu’il aborde la question du transport actif et collectif. Il a accepté de m’accompagner pour une petite visite guidée pédestre de Saint-Sauveur, quartier où les infrastructures pour les piétons semblent désuètes et où ces derniers, eux, sont pourtant nombreux. Trottoirs étroits, craquelés, mal entretenus l’hiver et entrecoupés de marches d’entrée d’appartement ou de poteaux électriques. Des obstacles bien réels pour les piétons qui les empruntent quotidiennement, un véritable calvaire pour les parents qui promènent leur bébé en poussette ou pour les gens qui sont à mobilité réduite.

Tout au long du parcours, nous sommes confrontés à des temps d’attente élevés aux feux pour piétons, à des traverses piétonnes non respectées par les automobilistes et à des intersections extrêmement périlleuses à traverser. Tous ces obstacles se trouvent à proximité de parcs, d’écoles et de centres communautaires. « Les piétons ont développé un sentiment d’infériorité face aux automobilistes », croit Bruno Falardeau.

Et les automobilistes, ce n’est pas ce qui manque à Québec ! En 2014, près de 570 000 voitures circulaient sur les routes de la Capitale-Nationale. « Je n’ai rien contre les automobilistes, je le suis à l’occasion moi aussi », stipule Étienne Grandmont, directeur général chez Accès transports viables, un organisme qui promeut le transport actif et collectif à Québec. « Mais, il y a beaucoup trop d’automobiles au centre-ville, notamment parce que c’est là où est la majorité des piétons ». D’ailleurs, selon la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), on recense dans la province en moyenne huit accidents par jour impliquant un piéton et un véhicule, accidents qui ont provoqué 52 décès en 2014.

 

Des modèles qui marchent ailleurs

 

En France, les Toulousains ont la possibilité de déambuler à travers une cinquantaine de rues piétonnes. À Reykjavik, le feu pour piéton vire au vert aussitôt qu’il est actionné. En Suisse et en Belgique, les piétons ont la priorité dans les zones de rencontre où les voitures ne peuvent rouler à plus de 20 km/h. Dans les écoquartiers allemands, les trottoirs brillent par leur absence, forçant ainsi les usagers de la route à cohabiter dans un respect mutuel. Il est difficile parfois, pour celui qui voyage, de revenir au Québec, où les automobilistes sont les rois incontestés de la route depuis les années 1960. Pour Bruno Falardeau, notre retard en matière de transport actif résulte d’un réel manque de courage politique de nos élus, qui veulent à tout prix satisfaire un électorat composé majoritairement d’automobilistes.

« Les pouvoirs publics ne font pas respecter la loi », affirme également Étienne Grandmont. Au contraire, les campagnes de sensibilisation pour la sécurité des piétons se soldent la plupart du temps par des contraventions données… aux piétons ! « Un non-sens », juge Bruno Falardeau. « On punit les gens parce qu’ils marchent, c’est grave ! » s’insurge-t-il.

 

Pas à pas

 

Alors que Vélo Québec défend les cyclistes depuis presque 50 ans, les piétons n’avaient toujours pas de porte-étendard pour faire valoir leurs droits à l’échelle nationale. Cela est désormais chose du passé, car Piétons Québec vient de faire son entrée dans le paysage du transport actif québécois. L’organisme aura donc son mot à dire lors de la prochaine commission parlementaire portant sur la révision du Code de la route. Souhaitons qu’un jour, pas à pas, la Ville de Québec se hisse parmi les villes du monde les plus agréables pour les piétons, et que ses zones « marchables » s’étendront au-de là du Quartier Petit Champlain et de la rue Saint-Jean pendant la belle saison. Mais pour l’instant, beaucoup de chemin reste encore à parcourir… à pied !

 

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