Jean-Claude Landry et Réal Boisvert, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, janvier 2016
Les « chums » du café matinal de M. Rousseau ne le reconnaissent plus. Lui qui ne manquait aucune occasion pour critiquer le système de santé. Voilà qu’il lui trouve des qualités faisant même, parfois, son éloge. Il est vrai que, l’an dernier, il l’a échappé belle.
M. Rousseau sentait bien que quelque chose n’allait pas. Moins d’énergie, plus essoufflé, fatigué plus vite à l’effort et ces engourdissements occasionnels au bras droit. Les « chums » lui avaient pourtant dit de « consulter ». « Poireauter à l’urgence? non merci. » qu’il disait. Sauf qu’un jour, l’engourdissement s’est prolongé et l’urgence s’est imposée.
Après avoir vu l’infirmière au triage, le voici donc bien installé son roman du moment à la main, pour attendre qu’on veuille bien le voir. Quinze minutes ne se sont pas écoulées qu’il est, à sa grande surprise, appelé.
Une infirmière l’attend pour un rapide électrocardiogramme. Puis c’est l’examen de l’urgentologue qui conclut, « C’est votre coeur M. Rousseau. On vous garde ». Et le voici à l’étage, chambre 412, médicamenté et soigné par une équipe d’infirmières qu’il trouve bien compétentes et attentionnées.
Deux jours plus tard, notre patient, accompagné d’une infirmière, sera conduit à l’Institut de cardiologie de Montréal où on lui installera un « stent », ce petit ressort qui empêche les artères de boucher. Retour le même jour à l’hôpital pour deux jours sous observation et voici M. Rousseau de retour chez lui, quelques médicaments en plus mais rassuré.
Les longues attentes à l’urgence et le manque de médecins de famille, principaux irritants du système à ses yeux, sont toujours là, mais M. Rousseau porte aujourd’hui un tout un autre regard sur celui-ci.
Il a eu accès, rapidement, à des soins ultraspécialisés. Ce n’est pas le cas de tout le monde mais lorsque c’est grave, son expérience lui a appris que ça bouge vite! Il se trouve bien chanceux de vivre au Québec quand il pense à son beau-frère qui, résidant au Connecticut, doit débourser 14 000 dollars par année en assurance maladie pour sa famille de 4 personnes.
M. Rousseau n’avait pas 15 ans quand le régime public d’assurance-maladie a été mis en place. C’était alors les familles moins nanties, plus susceptibles d’être frappées par la maladie, qui contribuaient davantage au financement de la santé. L’accès aux soins et services sur la base des besoins et non du portefeuille a mis fin à cette injustice et fait de notre régime public un extraordinaire instrument de solidarité sociale.
Évidemment le système québécois n’est pas parfait. Il est vrai que les délais d’attente ou l’accès difficile à un médecin de famille posent problème. Comme la difficulté à transférer aux autres professionnels de la santé certaines tâches assumées exclusivement par les médecins. Ou encore l’emprise de l’industrie pharmaceutique sur le système qui fait grimper exagérément la facture des médicaments.
Néanmoins, l’accès universel aux soins et la mise en place d’un programme national de santé publique responsable de réaliser des campagnes de prévention et de proposer des politiques et mesures pour agir sur des facteurs de morbidité comme les mauvaises conditions de logement, l’insécurité alimentaire et la pauvreté ont permis de formidables gains de santé.
Avant le régime public, le niveau de santé de la population du Québec était parmi les plus bas au Canada. Aujourd’hui l’espérance de vie en santé des Québécois dépasse celle des Canadiens. Les performances de notre système sont reconnues hors frontières, notamment aux États-Unis. À plusieurs reprises, des émissaires du parti démocrate américain, si ce n’est Ted Kennedy lui-même ou encore Jim Kerry, sont venus ici en délégation observer le modèle québécois.
Notre système de santé s’est distingué par le fait qu’il s’est constamment efforcé de livrer des services complets de santé et de services sociaux à partir d’un modèle lui-même construit sur des équilibres multiples alliant prévention, guérison, réhabilitation. Il s’est également démarqué par la juste distance aménagée entreles services de proximité et les services spécialisés et par l’autonomie relative laissée aux établissements pour établir, avec la collaboration des citoyens, des priorités locales et définir l’organisation des soins. En somme le Québec a développé, au fil des décennies, un modèle unique favorisant l’émergence d’un humanisme sincère dans un contexte d’expertise avancée, le tout mobilisé en vue d’offrir des services universels et gratuits à l’ensemble de la population.
M. Rousseau a bien raison de porter un regard positif sur notre système mais réalise-t-il à quel point celui-ci est aujourd’hui en danger?
En danger en raison de la création de mégastructures administratives qui éloignent les directions des intervenants et laissent en plan la participation citoyenne. En danger du fait de l’autoritarisme de gestion et du dirigisme dont fait preuve le ministre de la Santé. En danger parce que des compressions multiples frappent durement les fonctions de prévention, de connaissance et de promotion de la santé. Un peu comme si on faisait le choix délibéré de moins prévenir pour toujours avoir à plus guérir.
Les monsieurs Rousseau de ce monde se doivent donc d’être aux aguets.