Guy Thibault, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2016
Ma mère, qui va avoir 80 ans, me racontait qu'elle écoutait Les belles histoires des pays den haut à la radio de Radio-Canada dans les années 1940, alors qu’elle était toute petite et qu'il n’y avait pas encore de postes de télévision. J’ai découvert l’émission des années plus tard à la télévision et même si je n’avais que cinq ou six ans, je me souviens avoir alors été impressionné par la performance des comédiens qui, chacun à leur façon ont marqué plusieurs générations de Québécois. Je me rappelle notamment avoir eu peur de Séraphin quand il se choquait. C’était une émission captivante, pour un enfant comme pour un vieillard.
Basée sur le roman de Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché (1933), cette nouvelle adaptation revisite notre Histoire à travers la colonisation des Laurentides à la fin du 19e siècle. Le téléroman se présente comme le témoignage d’une époque où les conditions de vie étaient beaucoup plus difficiles et la société plus violente. Mais aussi une époque où il y avait moins d’exclusion et davantage de solidarité.
Nous avons rencontré Gilles Desjardins, adaptateur, scénariste et dialoguiste des Pays d'en haut, diffusés depuis le 11 janvier à Radio-Canada.
Gilles Desjardins, pouvez-vous d'abord nous parler des Belles histoires des pays d 'en haut de Claude-Henri Grignon, qui a adapté son propre roman?
Claude-Henri Grignon, l'auteur est un dramaturge impressionnant. C’était quelqu'un qui, entre autres, avait une force incroyable au niveau des personnages. Quand il créait un personnage, on ne pouvait pas le manquer, il devenait un archétype, il te marquait et tu ne l'oubliais jamais, qu'on parle de Bill Wabo, de Jambe de bois ou de Séraphin. Un autre aspect intéressant est que Claude-Henri Grignon était un homme de droite sur le plan idéologique. Ce qu'il a proposé â l'époque, c’est une vision où l'Église est en haut de la pyramide sociale, où il n'y a ni sexe ni violence … C'était une façon de présenter les Laurentides. Claude-Henri Grignon disait que la ville était la damnation, il voulait que les gens retournent à la campagne, à la terre.
Que proposez-vous de différent dans cette nouvelle version ?
Nous, on a décidé de reprendre tous tes personnages dans un contexte beaucoup plus réaliste, de rendre compte de la réalité sociologique de l’époque, de raconter comment les gens vivaient et de décrire leurs rapports : quels étaient le contexte et les problématiques? Il s'agissait de faire un vrai portrait de la colonisation, qui a eu une grande importance dans notre Histoire. Je compare ça au Far West des Américains. Ils ont fait des héros de ceux qui ont colonisé l'ouest américain et bâti l'Amérique, ils sont super fiers d'eux.
Nous devrions aussi voir nos personnages comme nos héros à nous ; c'étaient des pionniers, alors qu'on a souvent tendance à les considérer comme des niaiseux. C'est dans ce contexte que j'ai travaillé. Je voulais qu'on valorise cette époque de la conquête du Nord, qui était à certains niveaux plus difficile que la conquête de l'ouest américain. Je voulais quelque chose qui puisse un petit peu brasser la cage.
Dans la série télévisée Musée Eden, j'ai été frappé par la manière dont vous avez su retranscrire la réalité du quartier du Red Light, dans le Montréal de 1910 …
C'est un peu la même démarche oui, mais ce sont des contextes différents. Le musée Eden a existé, au coin de Sainte-Catherine et Saint-Laurent. Il y a cent ans, le taux de criminalité était dix fois plus élevé. Les gens font souvent l'erreur de penser que c'était extrêmement paisible, mais il y avait beaucoup plus de violence à l'époque. Dans le journal, on lisait qu'au conseil de ville, il y avait eu une bataille, que des députés s'étaient tapés dessus. Les gens réglaient leurs problèmes à coups de poing, c'était dans les mœurs. C'était comme une fontaine, les plus forts tapaient sur les plus faibles, le boss tapait sur l'ouvrier, l'ouvrier tapait sur sa femme puis la femme tapait sur les enfants. C'est quelque chose qui a complètement été oublié.
Vous ne pensez pas que c'est encore ce qui se passe aujourd'hui?
Un peu, mais je trouve important de montrer que les choses ont quand même évolué. Aujourd'hui, on est dans une époque très très pessimiste, très cynique. On se dit qu'on ne peut rien faire, alors que l'Histoire nous dit tout le contraire. Les choses vont en s'améliorant quand les gens se retroussent les manches et se battent. C'est ça, la grande leçon de notre Histoire. Retenons les leçons de notre passé. C'est très important de se souvenir que quand il y a des affaires qui ne marchent pas, on peut les améliorer si on se bat pour ça.
Pourriez-vous nous parler des acteurs et des personnages?
Dans l'ancienne série, il y avait un casting d'enfer. Ce sont des rôles mythiques mais les nouveaux acteurs ont tellement assimilé leurs rôles qu'on oublie les anciens. J'ai beaucoup travaillé sur la psychologie des personnages. Vincent Leclerc relève tout un défi de jouer Séraphin. Sarah-Jeanne Labrosse, qui personnifie Donalda, est superbe et adorable. Et il y a Antoine Bertrand, qui joue le curé Labelle. C'est un personnage de très grande envergure, joué bien sûr par Antoine Bertrand, qui est sublime. Les gens vont être surpris de voir à quel point le curé Labelle se battait pour faire avancer les Laurentides. Il s'est battu contre les grandes compagnies forestières, il voulait briser le chômage, il était très progressiste. Contrairement à ce qu'on peut penser, les Québécois de 1890 n'étaient pas des arriérés.
Quels parallèles peut-on faire entre ce que vivaient les personnages de la série à la fin du 19e siècle et ce que vivent encore certaines personnes en 2015?
L'alcool, le jeu, la violence, la pauvreté, tous ces problèmes existaient à l'époque avec encore plus de force, Par contre, il n'y avait pas cette exclusion, car contrairement à ce que les gens pensent, les gens étaient beaucoup plus tolérants. Imaginez aujourd'hui un party de bureau où vous prenez une méchante brosse. vous participez à une bataille et vous vous ramassez carrément en prison. À l'époque, dans les noces par exemple, ça arrivait souvent. c'était presque banal et ce n'était pas plus grave que ça. Les gens revenaient au bout d'une semaine et la vie reprenait.
Dans la série, il y a un docteur morphinomane, ce qui rappelle qu'il y avait déjà des problèmes de drogue à l'époque … Oui, le docteur Jérôme, fils du docteur Cyprien, a joué un rôle très important dans Les belles histoires des pays d'en haut. Il a vécu beaucoup de malheurs, il était amoureux de Donalda, et il se réfugiait dans la drogue. À l'époque, c'était fréquent chez les médecins. Je suis même tombé sur un vieil article dernièrement, qui disait qu'un médecin de Saint-Jérôme était mort d'une overdose de morphine en 1890.
Pensez-vous qu'il y avait moins d'exclusion à l'époque?
L'époque était difficile mais au moins, il y avait plus de solidarité. Les gens prenaient soin des vieux, des malades, ils étaient beaucoup plus responsables collectivement. La vie était très dure à l'époque, il fallait être capable de compter sur son voisin, les gens s'entraidaient, les familles étaient nombreuses et il fallait que tout le monde participe aux tâches. On ne voit plus ça aujourd'hui, ou c'est totalement individualiste. On a tendance à penser qu'on a plus de liberté mais je ne suis pas d'accord avec ça, C'est vrai que l'Église était très sévère, qu'elle voyait le péché partout et qu'elle pouvait te rendre la vie infernale, mais en même temps, il y avait plus de tolérance et plus de liberté.