Beauchamp, l’allumeur de réverbères de Saint-Exupéry ?

Antoine-Michel LeDoux, Le Sentier, Saint-Hyppolyte, janvier 2016

Est-il possible que Thomas Beauchamp, l’allumeur des lampadaires du pont Pashby, au lac de l’Achigan, dans les années 1940, ait inspiré le célèbre romancier français, Antoine de Saint- Exupéry ? Voilà ce qu’on peut supposer du séjour chez nous, en mars et avril 1942, de l’auteur du conte philosophique Le Petit Prince.

Dans son livre Escales québécoises (2) publié en 2000, sur Saint-Exupéry, l’historien joliettois Pierre Desjardins relève le séjour forcé de cinq semaines de cet auteur. Invité au Québec par son éditeur montréalais Bernard Valiquette pour donner des conférences, un problème de visa l’empêche alors, de retourner en Europe. Pilote d’avion pour l’armée française, Saint-Exupéry vit cet exil temporaire avec beaucoup d’angoisse en ce début de Deuxième Guerre Mondiale. Pour rendre son séjour plus agréable, son éditeur l’invite à séjourner quelques jours à la Fougeraie (devenue l’Auberge des Cèdres) au lac de l’Achigan, propriété de son ami, Jean-Clovis Lallemand, riche industriel et mécène canadien. L’historien Pierre Desjardins relate aussi que Saint Exupéry aime faire de longues randonnées pédestres de façon anonyme où il échange avec les gens qu’il rencontre. Ces randonnées et les gens rencontrés l’inspirent pour les sujets et les personnages de ses récits.

 

Thomas Beauchamp, l’allumeur de lampadaires du pont Pashby

 

À cette même époque, Thomas Beauchamp assure, matin et soir, une tâche peu commune : il allume et éteint les lampadaires sur le pont Pashby, près de chez lui. À cette époque, des lampadaires sur un pont étaient une « grande modernisation » liée aux promesses du parti nationaliste de Duplessis alors au pouvoir : l’électrification des campagnes. Plusieurs chantiers sont mis en place pour bâtir des routes asphaltées et des ponts qui assurent aux agriculteurs l’accès aux marchés économiques des grandes villes et procurent de l’emploi à ceux qui ont voté du « bon bord »! (3) Dans les Laurentides comme ailleurs, les vieux ponts de bois sont reconstruits en béton et munis de lampadaires pour la sécurité des automobilistes de plus en plus nombreux. Comme aucun système automatique n'existe pour les allumer on accorde à un résident, voisin du pont, la responsabilité d’allumer les lampadaires, soir et matin, moyennant une contribution. Les lampadaires s’allument grâce à un commutateur situé vers le haut d’un poteau. Les allumeurs se promènent ainsi d’un lampadaire à l’autre, munis d’un long bâton se terminant par un crochet. Cette pratique durera jusque dans les années 1960. (4)

 

Des indices d’une rencontre probable

 

Monique Beauchamp, petite-fille de Thomas, nous raconte que son grand-papa, Thomas Beauchamp exerçait plusieurs métiers pour subvenir aux besoins de sa famille : cultivateur, vendeur de glace, menuisier, boucher et propriétaire d’un dépanneur. Ainsi des indices laissent à penser que c’est peut-être derrière le comptoir de son dépanneur que Thomas Beauchamp a accueilli, au printemps 1942, Saint- Exupéry. Thomas, reconnu pour sa grande affabilité à échanger, lui parla peut-être de sa responsabilité importante d’allumeur de lampadaires. Un deuxième indice nous est apporté par la journaliste Delphine Lacroix. (5) qui rapporte que « le conte Le Petit Prince était sûrement en gestation pendant le voyage au Québec, car c'est à son retour à New York, fin mai 1942, pour regagner l’Europe que Saint-Exupéry en commence la rédaction. » Un troisième indice vient de la ressemblance possible entre la fidélité de Thomas Beauchamp à remplir sa tâche « d’allumeur de lampadaire » et le personnage de « l’allumeur de réverbères » du récit. Le personnage coloré qu’est Thomas Beauchamp semble plaire au Petit Prince et à son créateur, car Saint-Exupéry, écrit : Le petit prince le regarda et il aima cet allumeur qui était fidèle à la consigne, p. 60 : puis, il poursuit … celui-là serait méprisé par tous les autres (personnages du récit qui le précèdent), par le roi, le vaniteux, le buveur, le businessman. Cependant c’est le seul qui ne me paraisse pas ridicule, parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-même. … Celui-là est le seul dont j’eusse pu faire mon ami. p. 61.

(1) Fonds Bernard Valiquette
(2) Desjardins, Pierre, Antoine de Saint-Exupéry : escales québécoises, Montréal, 2000
(3) Enquête Salvas, 1957
(4) Musée de la Maison Saint-Gabriel, Montréal http://www.maisonsaint-gabriel.qc.ca/fr/musee/chr-10.php"
(5) <+> Lacroix, Delphine, Saint-Exupéry, pilote de guerre. L’engagement singulier de Saint-Exupéry, Paris, Gallimard, 2013

 

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