Un livre du géographe Rémi Guertin

Marc Boutin, Droit de parole, Québec, décembre 2015

Avec son Clin d’œil sur cinq quartiers de Québec, Rémi Guertin a réussi un coup double : écrire un livre accessible qui, par l’analyse de lieux qui nous sont familiers, nous faire découvrir une théorie originale de la géographie contemporaine.

L’histoire de Québec se confond avec celle de ses quartiers. Pourtant, les livres sur le sujet ne sont pas coutume. Le sujet de prédilection des historiens : le bourg emmuré autrefois appelé Quartier latin et devenu aujourd’hui une cité touristique (Vieux Québec). Or, le géographe Rémi Guertin, par son choix de quartiers et ses références théoriques, nous propose un livre hors des sentiers battus. D’entrée de jeu, il faut situer le parti-pris de l’auteur pour la géographie structurale. Cette géographie est plus que descriptive. Elle analyse le développement à saute-mouton des agglomérations, développement qui laisse des trous dans le tissu urbain tout en faisant place à un grand axe dit monumental où se concentrent les valeurs les plus fortes. À Québec, cet axe va de la place d’Armes à Cap Rouge, en passant par la Grande Allée et le boulevard Laurier, un peu comme à Paris les Champs-Élysées vont du Louvre jusqu'à la Défense. Ce vecteur attractif stable a une contrepartie négative et plutôt diffuse. Il s’agit de vastes espaces parsemés de vides qui, vu le prix moindre du terrain, sont consacrés d’abord à ces grands bouffeurs d’espace  que sont les infrastructures de transport (autoroutes, installations portuaires, aéroports, gares) et les parcs industriels. S’y retrouvent  enclavés des secteurs habités de plus en plus dépréciés à mesure de leur éloignement de l’axe positif.

Les clins d’oeil Pour Guertin, qui cherche un sens au développement des quartiers de la ville, les vides parlent autant que les pleins. Parmi les quartiers qu’il a choisis, on a droit à deux qui sont des interstices ou des « entre-deux » : le secteur d’Estimauville et celui de la Pointe-aux-Lièvres. Pour les autres, il s’agira d’espaces construits : l’Îlot Berthelot (faubourg Saint-Louis), Sillery et le Trait-Carré de Charlesbourg. À l’Îlot Berthelot, l’auteur attire l’attention sur le fait que l’endroit fut d’abord une carrière de pierres au coeur du faubourg Saint-Louis, une carrière devenue objet de convoitise au XXe siècle jusqu’à sa transformation en coopérative d’habitation au début du XXIe siècle. Le faubourg Saint-Louis, avant la création du boulevard René-Levesque, couvrait avec le faubourg Saint-Jean, son frère siamois, toute la largeur de la Haute-Ville jusqu’à la Grande-Allée. Ses maisons modestes ou victoriennes enclavaient l’édifice même  du parlement. De l’attaque frontale de la « rénovation urbaine » contre le faubourg Saint-Louis en passant par les projets grandioses d’hôtellerie jusqu'au squat de la maison de la rue la Chevrotière, l’auteur retrace la géographie des hostilités ayant mené à la construction de la coopérative L’Escalier qui a finalement permis d’enterrer la hache de guerre.

Le secteur d’Estimauville est un lieu de partage entre deux entités urbaines assez dissemblables : à l’ouest, le quartier paisible de Maizerets à la forme régulière et, à l’est, le capharnaüm morphologique de Giffard. Le vide crée par l’exil (années 1970) de plusieurs activités commerciales vers les galeries marchandes au nord de l’autoroute de la Capitale a été partiellement remplacée par de fragiles activités d’économie sociale. Depuis 1990, la Ville cherche dans l’improvisation à combler le vide. Les projets s’additionnent : NeuroCité, un bureau fédéral qui devait être le déclic d’un écoquartier, etc. Guertin voit là une forme « d’urbanisme sans genèse », et donc sans lendemains qui chantent, puisque non lié au savoir-vivre des populations avoisinantes. L’espace manque, mais les quartiers de Sillery, du Trait-Carré et de la Pointe-aux-Lièvres sont traités à l’avenant, bien que chacun de façon originale, et toujours en lien avec « cette totalité organisée que l’on nomme Québec. Une ville dont la beauté fait parfois chavirer les têtes et qui, avec son colisée-amphithéâtre, vit encore «son vieux rêve théocratique de devenir la Rome du nouveau monde ».

 

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