Projet de loi 70 : Qu’attends-tu fiston, travaille!

Mathieu Thériault, L’Itinéraire, Montréal, le 1er décembre 2015

On vient d'apprendre que le gouvernement Couillard a déposé le projet de loi 70 pour forcer les nouveaux arrivants à l'aide sociale à se soumettre à des programmes d'insertion à l'emploi. Ceux qui accepteraient se verraient gratifier d'un bonus sur leur chèque, tandis que les réfractaires pourraient voir leur «grasse» prestation réduite de moitié.

Pour des économies somme toute négligeables (50M$ par an), les libéraux sont sur le point de modifier complètement la mission de l'État envers sa population la plus démunie.

Quand on menace de priver quelqu'un de 300 $ des quelque 600 $ qu’il gagne par mois, on peut s'entendre pour dire qu’il ne s'agit pas vraiment d'une proposition de bonne foi. En acceptant les nouvelles mesures d'insertion à l'emploi, un nouveau prestataire – ceux déjà inscrits ne sont pas concernés pour l'instant – gagnerait jusqu'à 250 $ par mois. Sauf qu’il devrait accepter un emploi n'importe où, n'importe comment. Le ministre dit lui-même que si « les BS » doivent déménager de Montréal à Québec pour se «sortir de la pauvreté» et « retrouver leur dignité», et bien ils n'auront qu'à le faire. Pour leur part, les réfractaires devraient se contenter d'un revenu annuel de 3696 $! « Chaque citoyen doit faire un effort, surtout pour améliorer son sort et gagner sa dignité», dit Sam Hamad. Faut-il comprendre par-là que le ministre responsable de la « solidarité sociale» considère que les assistés sociaux n'ont pas de dignité?

 

La gueule de l'emploi

 

Quand on a une «gueule» de pauvre, pas tellement de linge chic pour une hypothétique entrevue, pas vraiment de références, pas de diplômes à brandir, pas le capital culturel pour bien baratiner dans une entrevue, pas de CV garni à présenter, est-ce qu'on s'imagine vraiment que le prestataire lambda va trouver un boulot à 300 miles de chez lui? Quand on a déjà tenté sa chance sans succès chez tous les commerçants et les entreprises qu'on connaissait dans son quartier ou sa région, les libéraux pensent-ils sérieusement que les prestataires vont se mettre à aller appliquer dans une ville où ils n'ont jamais mis les pieds ?

La réforme prévoit-elle rembourser les coûts de déménagements, puisqu'il est bien connu que chaque prestataire cache toujours un camion sous son veston ? Tant qu'à rester dans l'évidence, il est aussi bien connu que lorsqu'un chèque de BS n'arrive même pas à couvrir la passe de métro qui permettrait d'alter passer des entretiens d'embauche ou d'aller distribuer des Cv. Il est entendu que ledit prestataire aura bien plus de chances de trouver du travail à quelques centaines de kilomètres de chez lui.

Ce genre d'obsession idéologique typiquement néolibérale pour la recherche d'emploi 24/7 365 jours par année serait risible si elle ne portait pas à tant de conséquences. Quand les conservateurs l'ont appliquée pour l'assurance-emploi, au moins ils la balisaient. Le prestataire devait accepter un emploi à 70 % de son ancien salaire dans un rayon de 100 kilomètres de son domicile. Avec la loi de Sam Hammad, il n'y a désormais plus aucune limite: un boulot sur la lune à 25 cents de l'heure? Mais qu'attends-tu fiston, travaille ! C’est à se demander si le ministre se rend compte lui-même du ridicule de ce qu'il propose.

 

Le cheval de Troie des préjugés

 

Peut-être qu'à force de siéger à Québec, les élus libéraux ont fini par se faire contaminer par les radios-poubelles de la région qui donnent dans la diarrhée verbale à longueur de semaine contre les assistés sociaux. Les «maudits BS ». Pas fou, pour introduire en douce l'obligation du travail forcé dans le programme d'aide sociale (workfare plutôt que welfare), le ministre passe par un des préjugés les plus tenaces contre les assistés sociaux: les assistés de père en fils ou de mère en fille.

À en croire les libéraux, ces hordes de jeunes seraient les nouveaux barbares attendant leur majorité pour mieux piller les finances publiques, le cœur sanglant du contribuable entre leurs dents pleines d'écume … Disons-le clairement: le fait est qu’il n'y a pas un enfant qui grandit au Québec en se disant « Moi quand je vais être grand, je rêve d'être sur le BS », Oui monsieur, cela même dans les familles d'assistés sociaux. Si on se retrouve sans-emploi à un jeune âge, c'est en général pour plein de raisons complexes pas forcément joyeuses. Des paresseux et des profiteurs ? Oui, il y en a certainement. Mais certainement pas plus que dans n'importe quel milieu social, et certainement moins qu'au Sénat par exemple.

D'ailleurs, quand il évoque les nouveaux arrivants à l'aide sociale, le ministre parle toujours d'une « grande majorité qui a moins de 29 ans». Une affirmation on ne peut plus floue, qui ne correspond à aucune catégorie d'âge qu'on utilise en général dans les statistiques, les sondages ou la sociologie. Pourquoi ce recours au « 29 ans» ? Serait-ce que le nombre de prestataires dits «de père en fils» serait finalement plutôt insignifiant?

 

Serrer la vis

 

On nage ici en plein dans les préjugés. Au nom de l'austérité et d'économies de bouts de chandelles, on menace de couper des gens qui sont déjà dans une misère absolue. Car il est démontré que lorsqu'on leur offre des programmes de formation ou de retour au travail qui sont autre chose que de l'exploitation grossière ou du brainwash bidon, les bénéficiaires y participent généralement avec enthousiasme. Croyez-moi, ils sont plutôt rares les gens qui ne veulent rien faire dans la vie.

En introduisant une réforme majeure en tablant sur un préjugé tenace (ben oui chose, c'est donc vrai que ça pas d'allure d'être as de père en fils), on applique enfin le vieux fantasme néolibéral. Tu veux que l'État te verse une pitance de misère, ben tu vas travailler pour. Sinon démerde-toi, Cela sans égard aux droits fondamentaux, à l'obligation du gouvernement de soutenir les plus démunis et les plus mal pris, à la plus élémentaire solidarité sociale et quelques autres peccadilles du genre. Gageons que le gouvernement a cru déceler le maillon faible pour introduire sa réforme beaucoup moins banale qu'il n'y paraît. Car une fois le principe introduit et accepté, pourquoi s'arrêterait-il aux nouveaux assistés sociaux ou aux plus jeunes? En tablant sur le préjugé le plus répandu sur ce que l'on considère comme les «mauvais pauvres», il déclare finalement la guerre aux pauvres au grand complet.

 

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