« Sur la route », version Louis-Marie

Julie Des Chênes, L’Attisée, Saint-Jean-Port-Joli, décembre 2015

Si quelques proches de votre entourage vous racontent leur émerveillement après avoir vu le parcours du vieux routard américain du ?lm Histoire vraie qui conduisait sa tondeuse à gazon sur plusieurs centaines de kilomètres en Nouvelle-Angleterre, contez-leur ceci !

À première vue, Louis-Marie Saint-Pierre me paraissait avoir passé sa vie ancré à l’embouchure de la rivière Trois-Saumons. Homme de retenue et auditeur attentif, joueur de billard qui frappait toujours la bille trop fort, on imaginait mal que sa vie ait pu être mouvementée dans sa jeunesse.

Pourtant, l’histoire qu’il m’a un jour relatée n’était pas banale. À la ? n des années 1960, Louis-Marie était allé à Puerto Vallarta, au Mexique. Rien pour fouetter un chat, me direz-vous? Il ne manquait pas d’air, Louis-Marie, puisqu’il s’était rendu là-bas en mobylette ! À peu près cinq mille trois cents kilomètres, les deux mains rivées sur le guidon et les gaz au fond parce que, sur le plat, un vélomoteur n’excède les cinquante kilomètres à l’heure qu’à plein régime et que, à cette vitesse, cela faisait cent six heures de route minimum.

Avec un copain qui avait lui aussi un motocycle semblable, Louis-Marie avait traversé les États-Unis du nord au sud, par monts et par vaux, soit en longeant les Appalaches, soit en côtoyant plus le ?euve Mississippi qu’ils avaient forcément franchi quelque part. Une fois la frontière mexicaine traversée, le choix n’était pas simple : par l’est, la route en bordure du golfe du Mexique est d’abord verdoyante, mais elle obligeait ensuite à franchir la Sierra Madre orientale ; plus à l’ouest, le désert poussiéreux du Bolson de Mapimi est suivi de l’aride plateau de Zacatecas. Les deux motards étaient obligatoirement passés par la bruyante Guadalajara avant de monter et de descendre la Sierra Madre occidentale, dont les cols broussailleux donnent le vertige ou le mal de cœur tellement les virages sont raides !

Louis-Marie et son copain s’étaient reposés quelque temps avant de rentrer au pays. Par manque de fonds, ils avaient dû abandonner leurs cyclomoteurs. Le voyage s’est terminé en autocar, aux frais des autorités américaines qui ne voulaient pas de ces deux types fauchés sur le sacrosaint territoire étatsunien…

Post-scriptum. — Le photographe, lithographe et peintre Louis-Marie Saint-Pierre, bénévole enthousiaste du Salon du livre de la Côte-du-Sud, est mort en 2010.

 

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