«La Divine Illusion» : l’art pour se révolter

Antoine Aubert, Échos Montréal, Montréal, décembre 2015

Les louanges entendues au Festival Shaw, en Ontario, où la pièce a été créée cet été, disaient vrai. La Divine illusion, écrite par Michel Marc Bouchard et présentée au Théâtre du Nouveau Monde du 10 novembre au 10 décembre, constitue sans aucun doute l’un des grands moments culturels de l’année à Montréal.

L’auteur des « Feluettes » s’est inspiré d’une histoire vraie et rocambolesque : la venue à Québec, en décembre 1905, de Sarah Bernhardt et de sa troupe. L’arrivée de la plus grande comédienne au monde, extraordinaire de talent et d’excentricité, surnommée la «Divine», avait tout pour bouleverser une capitale prise dans l’étau du conservatisme religieux.

Sur scène, l’événement met dans tous ses états le jeune Michaud (joué par Simon Beaulé-Bulman), jeune séminariste issu de la bourgeoise. Ses études pour devenir prêtre se heurtent à sa passion ardente pour le théâtre. Les quelques jours passés par l’actrice à Québec changent sa vie, lui qui se retrouve obligé de choisir entre l’art personnifié par son idole (Anne-Marie Cadieux) et le dogme incarné par un archevêque de Québec décidé à interdire la pièce de Bernhardt, jugée contraire aux bonnes mœurs.

 

Formidable Anne-Marie Cadieux

 

À cela s’ajoute l’irruption d’un nouvel étudiant (Mikhaïl Ahoodja), venu d’un milieu pauvre où sa mère, son jeune frère et d’autres enfants sont exploités dans une fabrique de chaussures, Il est également entouré d’un mystère qui, en s’effritant, révèle peu à peu le visage sombre de la hiérarchie catholique.

En mettant la lumière sur trois pouvoirs – l’art, la religion, le monde du travail –, Michel Marc Bouchard prenait le risque de vouloir trop en dire et de s’éparpiller. La finesse et l’intelligence de l’écriture, servies par la mise en scène inspirée de Serge Denoncourt, font au contraire de ce portrait de Québec au début du 19e siècle une incontestable réussite.

Le propos est d’autant plus fort qu’il nous ramène forcément en 2015. 2015, où l’obscurantisme religieux continue de faire les manchettes; 2015, où les vêtements des plus grandes marques sont fabriqués par des enfants au péril de leur vie; 2015 où des artistes réussissent encore à faire souffler un vent de révolte.

Michel Marc Bouchard est l’un d’entre eux, tout comme ses acteurs, à commencer par la brillante Anne-Marie Cadieux. On ne se lasse pas de sa Sarah Bernhardt capable de faire hurler de rire lorsqu’elle imite l’accent québécois, mais tout aussi puissante lorsqu’il s’agit de faire réfléchir sur le rôle essentiel de l’art dans la société.

 

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