Michel Dufresne et la saveur des jours tranquilles

Normand Gagnon, Autour de l’île, Île d’Orléans, novembre 2015

La plupart des artistes ne vivent pas de leur art bien qu’ils y trouvent souvent un enrichissement de leurs vies émotionnelle et spirituelle. L’auteur, compositeur et interprète Michel Dufresne est de ceux-là, même s’il y a consacré au cours des dernières années l’essentiel de ses énergies et de ses ressources. Et de l’énergie, il en a, comme en témoigne une remarquable productivité que freinent à peine les contraintes matérielles et temporelles. Il écrit et compose comme il respire ; à fond, en tout temps et en tout lieu. Depuis 2010, en effet, il a produit et diffusé huit albums de ses compositions ; un autre est en préparation. Ce n’est pas peu dire d’autant plus qu’il réussit le tour de force de confectionner aussi les livrets de chacun d’eux, de même que les vidéos des chansons. Et c’est sans compter la conception et l’animation des séries sur le patrimoine et les arts, Mémoire en Tête et Estu’Arts, à la Télévision d’ici.

Lors d’un entretien dans sa maison de Saint-François, il nous dira son parcours atypique ; une courte période comme auteur-compositeur-interprète et nouvelliste dans les années 60, puis 25 ans d’une carrière au sein de ministères et d’organismes du gouvernement du Québec où il œuvrera dans les champs de la culture et du patrimoine ; et enfin, un retour à sa passion de jeunesse, l’écriture, de chansons principalement. Il nous dira aussi ses paradoxes et ambigüités qu’il considère être à l’origine de ses impulsions créatrices : «un studio en ville et une maison à la campagne, une formation en urbanisme et une carrière en patrimoine, une passion pour l’image [photographe et vidéaste] et un besoin pressant d’écrire, un sentiment d’urgence et une délectation de la lenteur.»

L’énergie inventive de l’artiste ne semble donc pas devoir se tarir tant explosent dans ses derniers albums une parole claire, mais foisonnante, et des thèmes déclinés sous la forme de la contemplation de la nature, de l’observation fine des relations humaines et amoureuses ou encore de subtiles critiques sociales. Et si on ne peut s’empêcher de voir dans son style et sa musique une filiation avec les Calvé et Gauthier, sa contribution au monde de la chanson reste unique en ce sens qu’elle prend racine dans l’ici et l’aujourd’hui. C’est ainsi que les paysages de l’île d’Orléans lui fournissent un matériau si inspirant qu’on arrive à grand-peine à voir se briser l’élan. Dans l’album Orléans… une île, il illustre à merveille sa capacité à situer la vie humaine et tout ce qu’elle comporte dans un coin de pays sans pour autant sacrifier l’universel.

 

«J’ai dans la tête la mémoire
D’un coin de terre à protéger,
Une chapelle, un vieux manoir,
Une maison, un potager».
–J’ai dans la tête…, Orléans… une île.

 

«Un coin de paradis pas très loin de la ville,
À l’autre bout de l’île où commence la mer […] ».
– Un coin de paradis, Orléans … une Île.

 

« Quai du Nord, Quai du Nord…
Oublié sur l’estran. Quai du Nord,
Quai du Nord, Égaré dans le temps ».
– Quai du Nord, Orléans… une île.

 

« Quand je regarde les barges
Descendre le Saint-Laurent
Entre deux bouées au large
De mon île d’Orléans.
Lorsque je parcours les pages
Des journaux en me levant,
Qu’on me parle encor d’otages,
De l’Afrique et de l’Orient ».
– Sur le bleu de l’océan, Orléans… une île.

 

«Je ne cherche pas les plus belles terrasses,
Ni les cafés branchés comme celui de Flore
Où l’on aime être vu avec un chien de race,
Je préfère de loin un café sur le fjord ».
– Un café sur le fjord, Couleur piano.

Quant aux accompagnements musicaux, s’ils se teintent parfois d’une touche d’exotisme ou de classicisme, ils ont toujours cette saveur des jours tranquilles et des sages ruisseaux, en parfaite harmonie avec des textes aux effluves nostalgiques. Enfin, les arrangements enveloppants et raffinés donnent aux chansons une patine qui n’a rien à envier à celle que l’on retrouve chez «les grands».

Une œuvre dont on peut difficilement expliquer la modeste résonance, surtout à l’île, sinon, comme le dit l’artiste, que l’image l’emporte «de plus en plus sur les mots, voire sur la parole chantée, autre que formatée ». M. Dufresne serait sans doute d’accord avec la thèse d’Alessandro Barrico qui, dans son essai Les barbares, parle de la contamination de la parole par le vide et la précipitation!

 

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