Entreprendre socialement : Une quête de sens

Alexandra Guellil, L’Itinéraire, Montréal, le 1er novembre 2015

L’entreprenariat social prend davantage d’ampleur. Trente ans après l’Europe et les États-Unis, le Québec découvre cet outil de développement économique durable avec un engouement plus marqué chez les jeunes.

Loin d’être une simple mode, cette manière de penser, de s’organiser et d’initier un changement social s’avère davantage privilégiée par les citoyens. Et pour cause, son ambition est de répondre, par la création de projets et actions, à nos besoins fondamentaux humains ; se nourrir, se loger dignement, apprendre ou encore se déplacer en respectant la planète. C’est la raison pour laquelle de nouvelles alliances se cherchent entre les structures de l’économie sociale et les organismes communautaires, les associations, les fondations, les entreprises, les citoyens et les pouvoirs publics.

 

Innover collectivement

 

Un projet d'innovation sociale propose des réponses nouvelles aux problématiques actuelles, auxquelles ni le marché ni les pouvoirs publics actuels ne peuvent répondre seuls. Réduire la pauvreté, l'exclusion sociale ou l'itinérance, abaisser le taux de chômage, accompagner le vieillissement de la population, lutter contre le changement climatique, préserver la diversité culturelle, freiner la crise du logement ou faciliter l'accès aux soins, etc. Face à ces nombreux défis, les initiatives socialement innovantes se multiplient à travers le monde.

Cet impact social ou environnemental s'ajoute aux rendements financiers. Un modèle qui n'est pas à confondre avec celui de l'organisme communautaire ou avec les actions de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les RSE correspondent légalement «aux mesures volontaires prises par une entreprise pour exercer ses activités d'une manière durable sur les plans économique, social et environnemental». En d'autres termes, une entreprise peut continuer à exister sans RSE tandis que pour une entreprise sociale, l’impact social et le rendement financier sont indissociables. L'entrepreneur construit en effet son plan d'affaires en fonction de cet objectif précis qui devient la valeur ajoutée de son projet.

L'entreprise dite «d'économie sociale» est une forme d'entrepreneuriat social. Son mandat est de proposer des solutions à un problème social ou environnemental en utilisant des outils de l'entrepreneuriat et les mécanismes de marché. Au Québec, plus de 125 000 personnes œuvrent en économie sociale et en action communautaire dans près de 30 domaines d'activité aussi divers que la petite enfance, l'environnement, les médias et les communications, la solidarité internationale ou encore la santé et les services sociaux.

S'il n'existe pas de cadre juridique officiel permettant de mieux définir cette nouvelle façon d'entreprendre, toutes les formes d'entreprises collectives, c'est-à-dire les organismes sans but lucratif et les coopératives, sont considérées comme des entreprises d'économie sociale. En somme, l'entreprise d'économie sociale a comme mission principale de répondre aux besoins d'une population-cible, par exemple les personnes en situation d'itinérance ou d'exclusion sociale.

Pour Jean-Martin Aussant, directeur général du Chantier de l'économie sociale, la différence première réside dans le titre de propriété. « L'économie sociale n'est pas en opposition avec le privé, mais plutôt un pilier essentiel», explique-t-il en prenant l'exemple des réactions différentes lors d'une crise économique. « Une entreprise privée ne va pas réagir de la même façon qu'une entreprise collective. La première retirera ses billes pour se sortir de la crise tandis que la seconde aura tendance à se serrer les coudes».

 

Une question de valeurs

 

Cette solidarité s'explique notamment par le sentiment d'appartenance, la possibilité de répondre aux besoins sociaux de la collectivité, mais aussi par les outils démocratiques et associatifs permettant à tous les membres de l'entreprise de prendre part aux grandes décisions. « Dans ce cas-ci, l'une des différences est aussi de répondre aux besoins de la collectivité et non plus uniquement de faire des profits». ajoute Jean-Martin Aussant.

Reconnaître un besoin social n'est pas si évident que cela. L'un des critères est avant tout de concerner l'ensemble de la collectivité. Pouvoir se loger ou se nourrir, accéder à des soins de qualité et à une prise en charge adaptée en cas de problème de santé sont donc considérés comme des besoins sociaux fondamentaux étant donné qu'ils touchent à la fois l'individu, mais aussi au collectif.

Avec les coupures et réductions des programmes sociaux, période d'austérité oblige, de plus en plus de jeunes se tournent vers l'entrepreneuriat social en ayant comme principale ambition de répondre à un besoin réel de ta population. Le jeune entrepreneur choisit bien souvent de démarrer son entreprise individuelle, collective ou une société par actions (incorporation). Et, même lorsque sa forme juridique est « à but lucratif», l'entrepreneur social ne vise pas forcément des profits, mais plutôt à la création de son propre emploi avec un salaire décent en respectant une certaine éthique et des valeurs précises, qui entrent souvent en opposition avec le système des affaires actuel.

À ce sujet, Michel Vennes, directeur général de l'Institut du Nouveau Monde pense que « l'entrepreneuriat social est l'une des solutions au déficit entrepreneurial dont souffre le Québec, en particulier dans la génération des 30 à 44 ans », C'est d'ailleurs dans cet objectif que de nombreux programmes ont vu le jour à l'Institut du Nouveau Monde. La plupart des jeunes qui en bénéficient sont « des entrepreneurs qui s’ignoraient». Bien qu'ils soient motivés par des projets de développement durable, social, technologique ou culturel, « ils ne se reconnaissent pas dans le modèle classique de l'homme et la femme d'affaires».

Depuis quelques années, le Québec évolue vers ce modèle. Montréal est d'ailleurs devenue le théâtre de nombreuses activités et événements en lien avec la promotion de l'entrepreneuriat social. Des rendez-vous de renommée internationale se multiplient. Parmi eux, le Social Business Forum et le C2 Montréal prévus en mai prochain,

Si ce modèle prend de plus en plus d'ampleur, c'est aussi grâce aux personnes qui y croient et le promeuvent à travers le monde. La plus connue est sans doute Muhammad Yunus, fondateur de la banque Grameen, spécialiste du microcrédit au Bangladesh. Surnommé aussi le « banquier des pauvres», il plaidait pour un modèle de social business plus durable pour répondre à la crise économique et sociale. «À partir du moment où l'humain, et non la recherche de profit personnel est au centre des préoccupations, on est dans du social business (. . .) Il faut être patient, structurer son projet, voir comment il peut être viable en allant étape par étape. Mais avec une bonne idée, 80 % du travail est fait », déclarait-il à cet effet en 2006, année de sa nomination au prix Nobel de la paix.

 

L'impact social avant tout

 

En entrepreneuriat social, ce qui compte, c'est de développer l'impact social des idées. Il tient compte de l'ensemble des conséquences (évolutions, inflexions, changements ou ruptures) liées aux activités d'une organisation ou à un projet. Ces conséquences ont des impacts directs ou indirects sur le territoire et la population.

L'Esplanade ressemble à une sorte de ruche d'abeilles où s'essaiment des idées nouvelles, l'ambiance y est sereine et propice à cultiver une certaine réflexion sur la société. À Montréal, il s'agit d'ailleurs d'un des rares endroits dédiés à l'entrepreneuriat social. « L'idée était d'outiller des entrepreneurs, des organisations, des innovateurs sociaux ou des citoyens afin qu'ils puissent proposer des solutions autres aux problèmes auxquels le marché économique ou les pouvoirs publics n'apportent pas une réponse suffisante n’explique Vincent Gourlaouen, responsable des opérations et de la programmation à l'Esplanade. Ces problèmes peuvent être aussi bien liés à la lutte contre l’itinérance ou l'exclusion sociale, ici au Québec, ou encore concerner l'accès à t'eau potable dans d'autres pays.

C’est d'ailleurs à travers les murs de l'Esplanade qu'est né Impact 8, le premier programme québécois visant à aider les entrepreneurs sociaux à maximiser leur impact sur la société. Un programme qui s'adresse aux entreprises qui ont de une à trois années d'activité.

Là où le schéma traditionnel est de travailler à l'augmentation des profits, lors de ces formations, le plus important est de travailler à augmenter l'impact social des idées. Plus ['impact social augmente, plus le projet peut durer sur le long terme quitte à se renouveler sous d'autres formes. Vincent Gourlaouen compare l'Esplanade à un dojo où l'art d'entreprendre socialement s'apprend collectivement. La rencontre avec l'autre, la pratique et les échanges sont donc au cœur de la démarche. L'accompagnement est calqué sur les besoins des entrepreneurs et touche aussi bien à la logistique qu'au droit ou aux communications. « On insiste beaucoup sur le lien entre leur activité et le besoin» reprend Vincent Gourlaouen, précisant que «peu importe ta forme juridique, l'important reste la mission sociale ».

 

Responsabilité sociale

 

Cet intérêt prononcé pour les valeurs sociales est d'ailleurs un élément essentiel du projet d'entrepreneuriat social. cc Beaucoup agissent encore en pensant au profit comme fin et non comme moyen n, selon M.Gourlaouen. Même dans le secteur de l'économie sociale, le problème se pose. Le Chantier d'économie sociale travaille d'ailleurs actuellement à l'élaboration d'un catalyseur d'impact social dont la mission première est de créer les conditions pour favoriser la croissance par la réponse aux besoins sociaux et non par les simples profits.

Ronald Saint-Gilles, consultant, est de ceux qui se sont sentis interpellé par la sphère sociale du développement durable. La création, la patience et la détermination sont pour lui les trois principales qualités qu'un entrepreneur social doit viser dans l'ensemble de ses projets. Son travail au quotidien est d'aider les entreprises privées à être plus « socialement responsables en développant des relations d'affaires avec des entreprises d'économie sociale». Le jeune entrepreneur explique notamment qu'au lieu de verser un don à une fondation afin de soutenir une cause sociale, une entreprise privée peut simplement acheter des services ou des produits à une entreprise d'économie sociale.

« Il est possible par exemple pour une entreprise de faire appel à une imprimerie d'économie sociale afin de produire des cartes professionnelles ou toute autre communication », étaye le scientifique de formation en rajoutant que le consommateur a de plus en plus d'intérêt pour l'entreprise qui soutiendra une réelle cause sociale que pour celle qui fera des dons ponctuels à une fondation.

 

Enjeux complexes, formes diverses

 

Lorsque ta cofondatrice de l'organisme d'innovation sociale Exeko, Nadia Duguay est invitée à donner sa définition de l'entrepreneuriat social, elle prône pour «la variété des signatures derrière l'entrepreneuriat social» qui doit être «toutes explorées jusqu'à leur profondeur, leur limite pour peut-être ensuite retrouver des zones d'interconnexion et même recréer une autre forme d'entrepreneuriat social».

Depuis 2006, les projets portés par Exeko utilisent certains aspects de la créativité, de l'art et de la philosophie pour favoriser l'inclusion sociale des personnes en situation ou à risque d'exclusion. «On est loin d'avoir trouvé une définition précise de ce qu'est l'entrepreneuriat social », soutient Nadia Duguay qui trace une ligne distincte entre entrepreneuriat social, économie sociale, entreprise sociale et innovation sociale afin cadrer avec la complexité des enjeux défendus à travers chaque projet.

Elle plaide pour qu'une réelle différence soit faite entre l’individu et l'entreprise sociale elle-même, « Exeko n'est pas une entreprise sociale, mais est plutôt portée par des entrepreneurs sociaux», insiste-t-elle en focalisant sur l'importance de viser ce qu'elle nomme  «l'entre-deux».

Par exemple, «entre santé et éducation, que se passe-t-il? Et comment fait-on pour sortir des façons de faire traditionnelles pour être en mesure de recréer des nouvelles façons d'aborder les enjeux sociaux ? », Interroge-t-elle. Que ce soit à Exeko comme à l'Esplanade, Montréal devient de plus en plus un terrain de jeu pour ces nouveaux entrepreneurs sociaux qui proposent des projets donnant à voir et à montrer la société sous des angles nouveaux et inspirants.

 

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