Les revendications d’une rassembleuse

Jo Redwich, L’Itinéraire, Montréal, le 1er octobre 2015

Viviane Michel est issue de deux cultures, innue et québécoise. Originaire de Maliotenam, près de Sept-Îles, elle a commencé sa carrière comme intervenante dans une maison d'hébergement pour femmes. Son côté fédérateur et sa détermination à aider les communautés autochtones pour qu'elles soient pleinement reconnues sur le plan politique et culturel l'ont amenée à la présidence de Femmes autochtones du Québec. FAQ défend les intérêts des femmes autochtones, notamment celles évoluant en milieu urbain, et agit pour l'égalité des droits et pour l'amélioration des conditions de vie.

 

Quels sont les dossiers qui vous tiennent le plus à cœur actuellement?

Pour moi, le dossier des femmes assassinées ou disparues est primordial. Nous réclamons une commission d'enquête nationale pour que justice soit faite. Une commission d'enquête est plausible s'il y a un changement de gouvernement. J'ai espoir en certains candidats qui se présentent aux prochaines élections fédérales. J'ai bien enregistré leur message quand ils ont parlé d'amorcer une commission d'enquête nationale.

Après les élections, je serai d'ailleurs la première à aller m'assoir avec les loups. L'important c'est d'être actifs et participatifs dans ce dossier. On s'occupe aussi d'autres dossiers comme la violence sous toutes ses formes dans les communautés. Cela fait partie de notre mission. D'ailleurs, nous travaillons beaucoup à faire de la prévention, de l'éducation populaire, de la sensibilisation; nous aidons des communautés qui ne sont pas encore reconnues officiellement à retrouver leurs titres, comme les Malécites par exemple.

 

Quels sont les problèmes que vous observez au sein des communautés?

La violence est un phénomène sociologique. Le gros problème, c'est qu'on est ignoré et mis de côté, On ne veut pas faire de la victimisation mais c'est une réalité. Le manque de logement, le surpeuplement dans les maisons et le sous-financement n'aident pas à résoudre les problèmes d'agressions et de violence dans les communautés autochtones. On n'a pas suffisamment de moyens pour aider les gens. Si une femme autochtone dénonce son agresseur, elle a besoin d'être solide sur ses deux jambes parce que son réseau d'amis est le même que celui de son agresseur, L’artide 810 du Code criminel n'est pas respecté puisque dans une petite communauté, on peut rencontrer son agresseur sur le coin de la rue, d'où l'importance encore une fois d'avoir une commission d'enquête nationale.

Est-ce qu'il y a des rencontres entre femmes au sein des communautés afin de s'entraider?

Je suis issue de la nation innue, ce qui dans notre langue veut dire « être humain », Chez nous, depuis environ 20 ans, les femmes se regroupent en forêt pour une semaine de guérison, sans leurs enfants. C'est une semaine où elles abordent des sujets assez tourds : agressions sexuelles, violence conjugale, violence chez les aînés, toxicomanie. etc. C'est un moyen de vivre ce qu'elles ont à vivre et de partager leur évolution. Les femmes s'impliquent sur des bases volontaires, il n'y a pas de hiérarchie ni de chef pour tout coordonner.

 

Les hommes sont-ils exclus de ces réunions?

Les hommes, à un moment donné, ont demandé à y participer. La question a été posée dans un atelier : est-on prêtes à inclure les hommes dans ce processus de guérison? Certaines ont dit oui, d'autres ont dit non, Il y avait comme deux réponses et nous en sommes arrivées à refuser les hommes, parce qu'on n'est pas encore totalement en équilibre avec nos problématiques, Si une femme avait été abusée par exemple, elle n'oserait pas en parler en présence de son mari. Cela aurait pu créer des barrières,

De cette façon, la femme soumise a un lieu pour s'exprimer librement sur ce qu'elle vit. Nous n'avons pas complètement fermé la porte aux hommes mais on leur a dit d'aller constituer leur propre regroupement. Peut-être qu'à un moment donné, les deux groupes se rejoindront.

 

Qu'est-ce qui fait aujourd'hui la particularité des femmes autochtones?

La façon de fonctionner est différente. Dans la culture autochtone, les enjeux ne sont pas les mêmes, Quand on était un peuple nomade, les hommes étaient des pourvoyeurs, chasseurs et pêcheurs, Les femmes avaient le rôle de la transmission de la langue et de la culture, Hommes et femmes se complétaient.

Aujourd'hui, les femmes sont retournées aux études, oui, elles arrêtent pour les enfants mais après, elles retournent beaucoup plus vite sur le marché du travail. C'est une grosse proportion de femmes qui le fait aujourd'hui. Nous, les femmes autochtones, on ne fait pas (a différence entre les hommes et les femmes sur le marché du travail. Chez moi par exemple, il y a plus de femmes qui travaillent que d'hommes, mais cela nous est égal. Il n'y a donc pas de compétition.

 

Retrouve-t -on cette égalité au point de vue politique?

Auparavant, les femmes n'étaient pas admises dans les assemblées publiques. Les femmes devaient rester à l'extérieur et regarder par les fenêtres, Puis, elles ont décidé d'aller vers les instances gouvernementales, elles se sont lancées. FAO a contribué a des prises de conscience et à un réveil du leadership des femmes. Prendre sa place en tant que femme est important, sans devenir « oppresseuse», Des communautés ont maintenant adopté la parité, c'est-à-dire que s'il y a quatre postes de conseillers, H y a deux postes pour les hommes et deux postes pour les femmes. Mais cela ne concerne que deux communautés, sur les dix nations reconnues au Québec : il y a donc encore un défi à relever mais je pense qu'on est dans le bon sens actuellement. On est en 2015. Il y a 250 postes de chefs et conseillers, et 103 sont occupés par des femmes. Pour une fois, nous sommes mieux représentées que les Québécoises.

 

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