Le modèle Uber, laisse beaucoup à désirer

Kristina Jensen, L’Écho de Cantley, Cantley, octobre 2015

Depuis la venue du modèle  Uber, les icônes de la mode haute couture sont désormais reléguées au second plan. Même la reine incontestée des passerelles, Gisèle, a été éclipsée, tout comme l'avaient été auparavant les célèbres Claudia, Christie et Cindy. Mesdames, faites place à la nouvelle coqueluche de l'heure: Uber Technologies, Inc. Ce nouveau top-modèle, qui sait maintenir un équilibre délicat, brasse des affaires – de grosses affaires – et a le cran de repousser les limites jusque dans la cour de ses adversaires.

 

Pousser l'audace

 

Lorsque Garrett Camp et Travis Kalanick, fondateurs d'Uber, ont insufflé la vie à leur modèle d'affaires grâce à la somme dérisoire de 200 000 $ en capitaux de démarrage en 2009, ils n'auraient pu imaginer l'ascension fulgurante qu'ils allaient connaître en s'aventurant avec audace où aucun homme n'était allé auparavant, à la frontière d'une nouvelle forme de covoiturage.

La chouette somme de 1,25 million de dollars qu'ils ont réussi à recueillir en investissements financiers en l'espace d'un an seulement n'était qu'un présage de ce qui attendait ces enfants prodiges à la veille de concrétiser leur rêve. En 20 Il, ils étaient fin prêts à lâcher la bête. Personne n'était déçu: Uber a atteint des sommets vertigineux peu après son lancement, à San Francisco. Seulement quatre ans plus tard, leur bébé (ou leur créature monstrueuse, tout dépendant à quelle extrémité du spectre Uber on se trouve) est maintenant bien connu et est devenu l'ennemi juré des chauffeurs de taxi de la planète.

Nous n'en sommes encore qu'aux balbutiements de l'histoire d'Uber et de Garrett et Travis. Encouragé par son succès immédiat, le duo a tenté de faire breveter aux États-Unis la méthode d'établissement des prix selon l'augmentation de la demande qui était intégrée à son application, mais en vain.

Cette méthode – qui repose essentiellement sur un algorithme automatisé faisant augmenter le prix de la course en fonction d'une hausse marquée de la demande – a été jugée « trop évidente » par le Bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis. Il s'agissait tout de même là d'une histoire de réussite. Ne se laissant pas abattre par ce petit échec, le tandem dynamique est allé de l'avant et a activement décliné son concept de base en proposant des modèles tels qu'Uber Fresh, un service de livraison de repas à Santa Monica en Californie, et le service de messagerie Uber Rush, en fonction dans les rues de Manhattan.

Ce qui est moins évident, cependant, est la façon dont Camp et Kalanick ont réussi à transformer la définition traditionnelle du mot « partage » – un concept simple qui est fondé sur l'altruisme et est compris facilement par la société – pour répondre aux impératifs de leur entreprise.

 

La marchandisation du partage

 

Soyons clairs : le modèle Uber n'a rien à voir avec le partage et la bienveillance. Ce n'est guère plus qu'une vulgaire commercialisation du terme « partage ». Et ce modèle a ses détracteurs. Il a provoqué l'ire de tous ceux et celles qui acceptent mal le concept de l'économie du partage. L'expression « consommation collaborative », largement utilisée, semble mieux coller à la réalité.

Selon le Harvard Business Review, ce modèle en est un d'économie de l'accès, dans lequel un propriétaire loue un bien de façon temporaire au lieu de le louer de façon permanente, ce qui résume assez bien le modus operandi d'Uber. C'est là une description beaucoup moins floue et beaucoup plus exacte, n'est-ce pas?

 

Mais qu'est-ce qu'Uber

 

Peu importe l'allure que l'équipe de marketing donne au modèle Uber, celui-ci peut être décrit en quelques mots très simples : un chauffeur utilise son véhicule personnel pour en retirer un gain financier. Point à la ligne.

Vous remarquez que l'expression « contre de l'argent » n'est pas employé, parce qu'il n'y a pas d'échange d'argent en mains propres. L'entreprise gère les transactions de façon virtuelle et offre ses services d'intermédiaire aux chauffeurs moyennant des frais. C'est une sorte de « proxénète » virtuel qui fait le lien entre des adultes consentants dans un but d'exploitation mutuelle. C'est comme de la prostitution, à quelques différences près.

D'abord, Uber est une entreprise de technologie. Grâce à une application ingénieuse pour téléphone intelligent, les usagers peuvent signaler leur désir de se déplacer. Dans son site Web, Uber promet d'établir la liaison entre deux parties en quelques minutes, puis débite la somme de la carte de crédit de l'usager, somme qui est ensuite déposée dans le compte bancaire de l'entreprise. Bien entendu, le chauffeur obtient sa part, moins quelque 20 %. Vous n'avez pas de voiture? Pas de problème, Uber vous en louera une. Vous n'avez pas de téléphone intelligent? Pas de problème, Uber vous en fournira un aussi, moyennant des frais.

 

Uber est partout

 

L'entreprise Uber est maintenant dans 58 pays. En date de mai 2015, elle était littéralement partout dans le monde, étant présente dans 300 villes. Sa valeur nette est estimée à environ 50 milliards de dollars. Dans un article du Ottawa Citizen publié le 29 mai, on dit que, selon Statistique Canada, plus de 1 000 chauffeurs d'Uber enregistrés à Ottawa retranchent une part géante du salaire net des chauffeurs de taxi traditionnels, qui est d'environ 38 000 $ avant les taxes. Il a été impossible d'obtenir les chiffres pour Gatineau.

De tous temps, la Ville d'Ottawa a lourdement réglementé l'industrie locale du taxi. Le nombre de permis accordé est fixe : près de 1 200. Conçues pour contenir la croissance et offrir des conditions de vie décentes aux chauffeurs, les politiques de la Ville, qui permettaient de contrôler l'offre et d'augmenter du même coup la demande, avaient fait gonfler la valeur des plaques de taxi. Une plaque pouvait se vendre pour la ronde somme de 250 000 $. De nos jours, on peut s'en procurer sur Kijiji pour 150000 $. L'intérêt envers ces plaques est cependant négligeable étant donné l'incertitude qui plane autour de la légitimité du modèle Uber.

Entre-temps, les chauffeurs de taxi ordinaires souffrent d'avoir perdu de 25 % à 30 % de leur salaire net même s'ils continuent de payer plus de 2 000 $ par mois pour la location de plaques, leurs assurances et les frais de répartition. Ils sont nombreux à passer dans le camp d' Uber. D'autres tentent de résister et de survivre à la tempête. Le désespoir s'intensifie, tout comme les tensions qui divisent les deux camps.

 

Une lueur d'espoir

 

Ceux qui espèrent la perte d'Uber se réjouissent de ses récents déboires juridiques. Les protestations et les contestations judiciaires contre l'entreprise s'accumulent, et les décideurs sont las de se faire faire le doigt d'honneur par ce nouveau venu, qui ne se gêne pas pour contourner les règles établies depuis belle lurette. La question de la relation employeur-employé ou employeur-entrepreneur qu'Uber entretient avec ses chauffeurs prend également beaucoup d'ampleur, au moment où l'entreprise s'apprête à affronter le ministère du Travail des États-Unis. Ses crois problèmes de main-d’œuvre ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Certains chauffeurs se plaignent d'être réduits au silence par l'entreprise et de ne pas pouvoir dénoncer ce qu'ils estiment être des politiques abusives, de peur d'être « désactivés ». Cette mesure semble draconienne …

 

Une belle assurance

 

Les assurances sont une autre problématique. La plateforme d'Uber X s'appuie sur une police d'assurance de 5 millions de dollars, qui complète l'assurance de base des chauffeurs. Le hic, c'est que les assurances personnelles d'un chauffeur ne couvrent pas les cas où il y a un échange commercial.

Il faut alors adhérer à une protection commerciale et le nombre de chauffeurs d'Uber qui ont cette protection est inconnu. Peu de passagers sont au courant de cette situation. Comme la nature a horreur du vide, un géant du domaine des assurances, INTACTI

BELAIRDIRECT est heureux de le combler. Un article paru dans La Presse Canadienne le 8 septembre annonçait l'entente conclue avec Uber. Ces deux entreprises ont des coffres bien remplis et disent recueillir 7 milliards de dollars par année en primes d'assurance. L'histoire ne dit pas quelle somme Uber paie pour ces services, mais il reste à espérer que le chiffre contient beaucoup de zéros, car la vengeance est un plat qui se mange mieux quand il y a beaucoup de zéros.

 

Choisir avec soin

 

Il est curieux d'observer que les véritables moteurs de la réussite d'Uber sont les membres de la génération des échos boomers, connus pour leur conscience sociale. Il est paradoxal de constater qu'ils sont si attachés à Uber – avec tous ses défauts – apparemment pour la simple et bonne raison que ce service est pratique et qu'il coûte moins cher que les taxis traditionnels.

En fin de compte, la crise que connaissent les chauffeurs de taxi du monde entier, qui ne peuvent guère être considérés comme faisant partie de l'élite économique, pourrait se résoudre très simplement. Les consommateurs peuvent dire non au braconnage automobile et au pied de nez qu'Uber fait aux règles du jeu. Leur portefeuille, ou plutôt leur téléphone intelligent, leur confère le pouvoir dont ils ont besoin. Ils n'ont qu'à exercer leur conscience sociale au lieu de tenir à épargner quelques dollars, et ils pourront changer les choses. Il suffit simplement D'APPELER UN TAXI.

 

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