L’exil intérieur

Shawn Bourdages, L’Itinéraire, Montréal, le 1er octobre 2015

«Sauvage infidèle», c'est en ces termes méprisants qu'est décrite Pinesi Okijikokwe Ikwesens en septembre 1838 dans l'acte de mariage de sa fille Elisabeth Macpherson, mon arrière-arrière-arrière-grand-mère. Au mépris institutionnel de l'église catholique s'ajoutera, quelques décennies plus tard, celui du gouvernement fédéral par l'entremise de la Loi sur les Indiens.

Cette loi établissait le système des réserves et constituait un net recul par rapport à la Proclamation Royale de 1763 où était au moins reconnu aux Premières Nations le droit de négocier de nation à nation l'utilisation de leurs territoires avec la Couronne. Les Autochtones furent alors cantonnés dans des territoires restreints et mis sous tutelle afin de faciliter l'exploitation des ressources naturelles présentes sur leurs terres traditionnelles, une sorte d'exit intérieur duquel ils étaient censés ressortir soit blancs, soit tout simplement morts.

Cette constante érosion des droits des premiers peuples au Canada, et la banalité avec laquelle ceux encore consentis sont bafoués, sont frappantes. C'est sans remords que nous avons kidnappé leurs enfants pour tenter de les assimiler (tout en les abusant de multiples façons) dans les écoles confessionnelles. C’est avec la même totale absence de considération que le maire d'Oka décida en 1990 d'accorder un permis à un promoteur afin d'agrandir un terrain de golf sur un cimetière traditionnel. Le dénigrement se poursuit aujourd'hui notamment par le refus catégorique du gouvernement fédéral d'ouvrir une enquête concernant les quelque 1200 femmes autochtones disparues ou assassinées au cours des 30 dernières années.

 

Génocide culturel

 

Ces quelques exemples parmi tant d'autres ne servent qu'à illustrer la mauvaise foi sous-tendant notre relation avec les Premières Nations depuis le début. Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation est d'ailleurs sans équivoque quant à nos intentions : «Un État qui détruit ou s'approprie ce qui permet ci un groupe d'exister, ses institutions, son territoire, sa langue et sa culture, sa vie spirituelle ou sa religion et ses familles, commet un génocide culturel. Le Canada a fait tout ça dans sa relation avec les peuples autochtones.»

Or, ils ne sont pas morts, bien au contraire, « la population autochtone connaît une croissance démographique presque deux fois plus rapide que celle de fa population canadienne en général. » Nos concitoyens sont cependant bien mal en point. Ne serait-il pas alors temps de faire un examen de conscience collectif afin de mettre fin à cet exil intérieur? Il est bien difficile de susciter l'intérêt pour cet exercice d'introspection. C’est pourtant sans gêne que notre société se penche sur des questions d'éthique lorsque vient le temps de parler des autres, au point même d'en faire un enjeu électoral. Tant au Québec qu'au Canada, réfléchir à cette question revient à mettre en doute de part et d'autre quelques mythes structurants. Car si le projet national québécois ne peut supplanter le droit des Premières Nations à une existence politique et culturelle sur son territoire, le Canada doit également avoir le courage de revoir son rapport aux peuples autochtones, impliquant invariablement l'abolition de sa Loi sur les Indiens et la révision de sa loi fondamentale, c'est-à-dire sa Constitution, afin de s'affranchir de son passé colonial.

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