Des combats acharnés en mal d’identité

Alexandra Guellil, L’Itinéraire, Montréal, le 1er octobre 2015

Richard Kistabish est un Algonquin de la Première Nation Abitibiwinni au Québec. Sa vie s'est construite autour de combats axés sur la dénonciation des injustices sociales et politiques. Dans Guibord s'en va-t-en guerre, Richard Kistabish est attaché à un arbre pour protester contre les décisions qui briment sa communauté. Un rôle qui lui fait penser à la chanson de Ringo Starr, Act Naturally parce qu'il n'a pas vraiment joué. Rencontre avec celui qui a passé sa vie à défendre les droits, les ressources naturelles et à essayer de redresser les torts qui ont été faits aux peuples autochtones.

 

Que ce soit dans le film ou dans la réalité, une chose qui semble revenir est le barrage des routes…

Bloquer les routes a toujours été le seul moyen de se faire entendre par les autorités. Il fallait trouver des manières  pour qu'ils nous ouvrent les portes et que l'on puisse se parler. C'est ce qui s'est passé avec ce qu'ils ont appelé la Crise d'Oka. 25 ans plus tard, les revendications formulées par nos frères Mohawk sont toujours en suspens. Alors, un peu partout, on a utilisé les mêmes moyens pour essayer  de calmer les industries qui s'accaparent les ressources  sur les territoires. Il faut être vigilant, même si on devient comique face à la situation, cela va finir par causer de grands malheurs si on continue à ne pas s'entendre et s'écouter parler.

D'année en année, sentez-vous un certain changement? Non, je ne crois pas que ça change au contraire. Le conflit reste toujours sur le même ton, les inactions continuent.

Dernièrement encore, j'ai été confronté aux compagnies forestières et à leur ministère,des Ressources naturelles. Alors que nous essayons de nous réapproprier notre territoire, c'est toujours les mêmes discours. Et en plus, ils nous mentent ouvertement! Ils se moquent de nous! Ils ne tiennent jamais parole! Un exemple: ils nous avaient promis des arbres abattus pour nos villages. Cela fait deux ans qu'on les attend.

 

Pourquoi vous engager politiquement et culturellement en même temps?

(Rires) C'est intéressant d'amener ce que l'on vit à l'écran, j'aurais aimé que l’on me filme pendant que je négocie avec la scierie ou le Ministère. C'est la même scène dans la vraie vie et il n'y a pas souvent de caméra pour les montrer. Le film de Philippe Falardeau est un pur hasard. Le cinéma peut contribuer à confondre la réalité et la fiction.

 

Vous avez mené de nombreux combats et vous en menez toujours aussi activement. Avez-vous l'impression qu'il vous manque quelque chose dans tout cet acharnement?

J'ai passé ma vie et j'ai dépensé mon énergie à me défendre et à essayer de trouver une place, j'aurais tellement aimé mettre mon énergie dans le développement pour que l'on puisse grandir de manière paisible, pour que l'on puisse être encore plus nous-mêmes et retrouver notre identité. C'est l'une des grandes faiblesses que l'on a actuellement dans nos communautés : le manque de connaissance de notre identité, de notre histoire.

 

Comment définissez-vous votre identité?

Par l'accessibilité à nos territoires. Nous avons besoin de les nommer, de savoir pourquoi nous sommes placés là et pourquoi nous les avons appelés ainsi. Nous devons connaître le nom de nos ancêtres, la signification de ces noms par rapport à la relation qu'ils avaient avec la Terre. Quelles étaient les responsabilités qu'ils avaient quant à l'occupation, la sauvegarde et la protection du territoire ?

Nous avions accès à toutes les ressources dans le temps, on les a gardées, on les a défendues, et elles nous ont été complètement dérobées. Et le film montre aussi que nous sommes à un stade où il faut arrêter de prendre ces ressources parce que nous aussi nous y avons droit. On ne peut pas nous laisser parqués là dans une réserve sans que l'on puisse ne rien faire … C'est fatal ça!

 

Qu'en est-il des jeunes?

Voilà le point de départ qui manque pour commencer le développement. Des fois, il y a chez nos jeunes des soubresauts de conscience politique lorsqu'ils se rendent compte de certaines choses. Mais, il y a encore de nombreux problèmes un peu plus profonds liés au manque de connexion avec le territoire. Nos jeunes se suicident parfois collectivement. On ne sait pas d'où l'on vient, on ignore les raisons qui font que nous sommes dans une réserve. Et dans une réserve, il y a une certaine détérioration de l'esprit qui fonctionne en ghetto. Un jeune n'arrivera jamais à se développer ainsi et à avoir une pleine conscience de son identité. Voilà pourquoi il faut ouvrir le débat. Et le cinéma peut être un bon moyen.

 

Les relations familiales ne sont-elles pas un moyen d'y parvenir?

On pourrait facilement réaliser un autre film à ce sujet en prenant la révolte d'un jeune comme fil conducteur. Cette révolution se fait en ville, par rapport à la société, mais aussi par rapport à sa famille, à ses parents ou à ses liens avec ses frères et sœurs. Des fois, ces relations familiales sont extrêmement fuckées. Il y a quelques rassemblements de famille qui commencent à se pointer, mais avant que l'on arrive à se réjouir totalement, il va falloir que l'on ait plus de ressources pour connaître notre identité.

 

Quel est le proverbe qui vous guide jour après jour dans vos combats?

Plus jamais. Il faut arrêter. Il ne faut plus continuer dans cet état d'esprit. Si vous saviez l'énergie que nos enfants ont pour se construire, se développer … Cette énergie-là dort encore. Si on pouvait juste la faire exploser, nous verrions des choses magnifiques, et même extraordinaires!

 

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