Dossier rivière du Nord : L’accès à l’information gravement entravé

Audrey Tawel-Thibert, Le Journal des citoyens, Prévost, septembre 2015

Chaque été depuis 2005, le Journal des citoyens publie un dossier spécial sur la rivière du Nord, afin de promouvoir sa protection pour pouvoir, un jour, permettre à nouveau un usage récréatif sécuritaire de la rivière. Or, cette année, ce mandat prend un nouveau tournant, considérant les obstacles rencontrés lorsqu’est venu le moment de consulter le rapport SOMAE de l’été 2014.

La modification récente du processus concernant la production et la publication des rapports SOMAE (Suivi des ouvrages  municipaux d’assainissement des eaux),
induite par le Règlement sur les ouvrages municipaux d’assainissement des eaux usées (ROMAEU) du gouvernement provincial entré en vigueur le 11 janvier 2014, a résulté en une perte d’accès à l’information significative.

Un bref rappel : les ouvrages de surverse sont des canalisations par lesquelles les eaux d’égouts non traitées sont directement rejetées dans la rivière. Habituellement, le tout se déroule dans un cadre réglementaire et les débordements ne sont acceptables qu’à l'occasion de situations exceptionnelles telles une pluie avec ruissellement, une période de fonte de neige ou un bris mécanique. Depuis le 1er janvier 2001, le SOMAE était l’unique système informatique de saisie des données de suivi des stations d’épuration et des ouvrages de surverse. Les rapports de performance des SOMAE contenaient des informations précieuses concernant les rejets des usines d’épuration; débit, oxygène, matières en suspension, phosphore, coliformes fécaux… tout y était, y compris les détails sur le respect ou non-respect des Municipalités envers les exigences établies par le Ministère.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ces rapports, vous pouvez consulter celui de 2013 sur le site suivant : www.mamrot.gouv.qc.ca /infrastructures/suivi-des-ouvrages-dassainissement/ou demandez-nous-le.

 

Portrait de la situation

Jusqu’à l’an 2013, le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMROT) publiait des rapports annuels cumulant les données de l’ensemble des municipalités qui comptent des ouvrages de surverse. En un clic, chacun avait accès aux rapports. Désormais, c’est le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la lutte aux changements climatiques (MDDELCC) qui est en charge de l’application du règlement, et de ce fait, de la gestion des rapports SOMAE, lesquels sont dorénavant produits par les Municipalités concernées, prises individuellement. La façon de faire antérieure se prêtait efficacement aux analyses comparatives, chose qui n’est malheureusement plus possible aujourd’hui.

 

Un nouveau système informatique à venir

Ce sont maintenant les Municipalités qui sont en charge de produire et de faire valider leurs rapports respectifs. Une refonte du système est actuellement en cours au sein du MDDELCC, ce dernier est donc en période de transition. La date limite de dépôt des rapports fut, exceptionnellement cette année, fixée au 1er avril. Le Ministère a d’ailleurs mis en ligne sur son site Web un modèle afin d’aider les Municipalités à rédiger leur rapport annuel. Mais dès 2016, la date butoir sera plutôt le 1er juin.

Pourquoi un changement de système ? Paraîtrait-il que la façon initiale de procéder pour les SOMAE était devenue désuète. Entre autres, le SOMAE se révélait peu performant en ce qui concerne les analyses d’eau potable, selon Michel Savard, du bureau des Laurentides et de Lanaudière du MDDELCC. Le but est d’impliquer plus sérieusement les Municipalités envers leurs ouvrages de surverse. Ainsi, un système informatique plus moderne et en accord avec le ROMAEU sera implanté un jour ou l’autre. Le MDDELCC s’est toutefois fixé comme objectif que les Municipalités débutent la saisie de leurs données de suivi dans ce système à partir du 1er janvier 2017, aux dires de Lucie Tétreault, responsable des communications au MDDELCC

 

Qu’adviendra-t-il des Villes qui ne se conforment pas au règlement ? Mme Tétreault déclare par courriel que «Le Règlement sur les ouvrages municipaux d'assainissement des eaux (ROMAEU) prévoit l'application de sanctions administratives pécuniaires et pénales advenant un manquement. Des inspections
et des vérifications des OMAE sont notamment prévues dans le cadre du programme de contrôle du MDDELCC».

 

Une perte cruciale d’informations

Les indications de Mme Tétreault, dans un courriel adressé au Journal, sont sans équivoque : «Le ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire a cessé de produire le rapport d'évaluation de la performance des ouvrages municipaux d'assainissement des eaux, qui regroupait les bilans annuels de chaque Municipalité ». Cela signifie qu’aujourd’hui, pour avoir accès aux rapports annuels, on ne peut plus simplement se procurer le document PDF en se rendant aisément sur le site Internet du MAMROT: il faut s’adresser directement aux Municipalités concernées, selon ce que Mme Tétreault a indiqué au Journal. Il est dès lors impossible de faire des comparaisons inter-municipales. Le Journal a aussi dû multiplier les démarches pour parvenir à consulter lesdits rapports. La quantité de temps perdu est notable, car, sans se présenter comme journaliste, les transferts téléphoniques d’un poste à l’autre au ministère de l’Environnement sont fréquents. Même certains responsables, au téléphone, ont admis d’emblée qu’ils n’étaient pas familiers avec le nouveau procédé. Selon les dires d’un employé, le Ministère n’a pas pris la peine de former convenablement tout son personnel, étant donné qu’il ne s’agit que d’une période transitoire. D’où la circulation d’informations erronées… on dirait qu’en tant que Monsieur ou Madame Tout-le-monde, on ne s’adresse jamais à la bonne personne quand nous avons des interrogations précises.

La situation est plus que déplorable. L’accès à l’information concernant l’état de santé de notre rivière du Nord n’est pourtantpas un privilège, mais bien un droit acquis. La science environnementale au Canada est malheureusement dépolitisée, éjectée sans cérémonie de la sphère politique. Il y a lieu de s’inquiéter. Les données brutes des années entre 1990 à 2000, quant à elles, n’ont pas été publiées. Interrogée à ce sujet, Audrey Garon, du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation des territoires (MAMOT), a déclaré que les données de cette période ne sont malheureusement plus existantes, puisqu’à l’époque, le Ministère n’était pas tenu de les conserver…

 

Abrinord contraint d’insister

Le 3 juillet, la DG d’Abrinord, Isabelle Marcoux, confiait au Journal : «Cela fait déjà quelques mois que l’on tente d’avoir un accès à l’information, mais c’est très difficile. Notre demande, envoyée en mars, est en traitement, mais nous n’avons toujours pas eu de réponse. Auparavant nous avions un code d’accès pour le SOMAE délivré par le MAMOT, mais il n’est plus valide depuis l’entrée en vigueur du ROMAEU. Tout est compliqué, c’est un gros vortex ». Abrinord a dû obtenir un code d’accès ClicSEQUR, entraînant entre autres l’adoption de résolutions au niveau du CA de l’organisme. Toujours le 3 juillet, après l’entretien avec le Journal, Abrinord a recontacté le gouvernement afin d’obtenir ses codes d’accès ClicSEQUR. Le lundi 6 juillet, l’organisme a dû relancer à nouveau le Ministère, car rien ne fonctionnait. Plusieurs appels plus tard, leurs codes ont été activés. Une inscription supplémentaire auprès du MAMOT a été requise pour qu’Abrinord puisse accéder aux données du SOMAE. Abrinord aurait dû pouvoir avoir les données dans les 48 heures suivantes, ce qui ne fut pas le cas.

Après d’autres démarches laborieuses, ce n’est pas avant le 16 juillet qu’Abrinord a enfin pu obtenir les résultats des SOMAE. Maintenant que le système est modifié, dénaturé et complexe, comment se renseigner sur l’état de notre rivière et de nos cours d’eau? Les scientifiques sont bâillonnés, l’accès à l’information est nié, notre Premier ministre refuse le concept même d’environnement, et même nos organismes locaux sont vulgairement mis à l’écart. La population et les professionnels se retrouvent, désormais, presque sans information sur notre rivière du Nord, alors qu’il y a quelques mois, en un clic, des analyses comparatives étaient encore possibles.

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