Un retour vers des valeurs de partage et d’entraide ?

Josée Panet-Raymond, L’Itinéraire, Montréal, le 1er septembre 2015

J'ai une scie sauteuse dont je me sers à peu près jamais que je pourrais te prêter en échange d'une session de ménage chez moi. Tu as besoin de faire taper une dissertation, je peux t'aider avec ton déménagement. Quelle que soit la transaction, il y a un site Internet ou un organisme pour ça. Chez nous, les Accorderies, Fab Lab, la Ruche et autres organismes d'échange de biens et de services commencent à changer la façon dont on fait les choses.

L'économie de partage ou collaborative est en pleine recrudescence et pourrait bien bouleverser les méthodes conventionnelles de commercer entre individus. Certains vont même jusqu'à dire qu'elle pourrait ébranler les fondements du capitalisme.

Cette «nouvelle» approche par laquelle nous échangeons des biens et services gratuitement ou à des coûts inférieurs au marché prend de t'ampleur partout sur la planète et ne semble pas vouloir s’essouffler, au contraire.

Consommation collaborative, troc, échanges … Rien de nouveau sous le soleil, diriez-vous? En effet, nos grands-parents et leurs ancêtres les pratiquaient bien avant nous. Les autochtones d'avant Jacques Cartier transigeaient selon un système de troc, tout comme les Égyptiens du temps des pharaons et plusieurs autres sociétés anciennes. Jadis, bien des maisons ont été construites grâce à la participation de voisins. Il n'était pas rare que les membres d'une communauté mettent en commun leurs compétences individuelles pour te bien de leur collectivité. C'était comme ça que ça fonctionnait.

On le faisait par nécessité, mais aussi parce que les valeurs de générosité et de partage dictaient la conduite des gens.

 

Chacun pour soi, chacun chez soi

 

Or, au 19e siècle, avec l'avènement du capitalisme moderne, les biens et services ont commencé à circuler plus librement et plus abondamment, surtout auprès des mieux nantis. Après la Seconde Guerre mondiale, le boom industriel a permis à plus de gens de se procurer des appareils et des objets qui leur assuraient plus d'indépendance. Il était désormais possible pour la majorité des gens de s'acheter une voiture, une laveuse, une télé, ce qui contribuera à vivre chacun pour soi et chacun chez soi.

Cette tendance s'est poursuivie de façon constante, traversant les récessions, bulles économiques et les faillites personnelles engendrées par la surconsommation au cours de décennies marquées par l'individualisme. Si bien qu'aujourd'hui, on se ramasse souvent avec un déficit d'argent et un surplus d'objets dont on ne sait trop que faire. Qui plus est, nous vivons davantage cloisonnés les uns des autres, derrière nos ordis et devant nos télés.

L'économie de partage serait-elle un juste retour des choses pour, d'une part consommer d'une façon plus responsable et d'autre part, pour aller vers l'autre afin de se connaître et échanger? Plusieurs points de vue sont exposés dans la présente édition du magazine à cet effet.

 

Le bon côté des médias sociaux

 

Il est juste d'affirmer que le mouvement collaboratif a pris de l'ampleur partout dans le monde grâce à l'avènement des réseaux sociaux.

L'économiste et essayiste américain Jeremy Rifkin* explique la montée de ce nouveau système économique basé sur le partage et la collaboration par la « conjonction de deux bouleversements majeurs: dans la communication d'une part, avec la généralisation progressive d'Internet aux objets, dans l'énergie d'autre part, avec l'arrivée de nouvelles sources d'énergie illimitées et quasi gratuites.»

Il va même affirmer que cette puissante croissance du modèle collaboratif «va progressivement marginaliser un capitalisme déjà sur le déclin.» Selon lui, le capitalisme ne disparaîtra pas complètement car «les deux systèmes vont continuer longtemps à cohabiter, mais dans une économie de plus en plus hybride qui va le transformer en profondeur.»

Cette analyse est partagée par un grand nombre d'experts dont l'auteure australienne Rachel Bostman, qui a inventé le terme « consommation collaborative» et a écrit plusieurs ouvrages sur l'économie du partage. Par ailleurs, le sociologue Paul Sabourin de l'Université de Montréal estime que ce mode économique pourra, dans certains cas, atténuer les inégalités sociales.

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